Chapitre 1, prologue [corrigé]

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Mémoire

Elle vibre au rythme des pulsations de son cœur.

Boum, boum boum. Boum, boum boum.

Chaque battement est amplifié par une force inconnue, si bien que d'affreuses migraines ne tardent pas à envahir son crâne.

Elle a mal. Elle ne sait pas vraiment où. Un peu partout, sans doute.

Il y a bien cet horrible élancement de la cuisse qui la taraude, mais le plus préoccupant est l'incapacité manifeste de ses membres à lui obéir. Impossible de bouger. Pourtant, il faut qu'elle s'en aille, et vite.

C'est la seule pensée claire qu'elle parvient à formuler. Sa gorge est sèche, comme si elle n'avait pas bu depuis des semaines. Sa bouche, presque aussi pâteuse que l'infâme purée qu'on lui sert au repas.

Elle entrouvre enfin les yeux. On l'a allongée dans une pièce sur-éclairée, et le néon blanc au dessus de sa tête l'oblige aussitôt à fermer les yeux. Ses paupières glissent toutes seules devant ses orbites somnolantes, l'isolant rapidement de cette affreuse pièce éblouissante. Elle n'est pas en état de réfléchir, elle n'y arrive pas encore. Si un bref projet d'évasion a envahi son esprit, il s'en est échappé aussi vite. Elle fréquente quelques minutes, peut-être quelques heures, avant de rouvrir les yeux.

Ça y est, elle a enfin l'esprit clair. Enfin un peu plus qu'avant.

Elle sait deux choses maintenant, mais impossible de déterminer si c'est une avancée positive. Premier constat, ils sont faits attraper. Deuxième observation, elle n'a pas la moindre idée de ce qu'ils comptent leur faire. Lui faire. Il faut qu'elle l'aide, lui. Il ne tiendra pas sans elle!

Une fureur terrible s'empare de son esprit embrumé. Ils ont forcément été trahi. Leur plan était infaillible, elle en est sûre, c'est elle qui avait traqué le moindre défaut, la moindre incertitude qui planait encore sur leur stratégie d'évasion. Elle sait déjà qu'elle ne survivra pas à un retour en cellule, pas plus que lui.

Cette fois-ci, c'est l'abattement qui la gagne. Ils les ont pris, eux, emportés pour toujours vers des rivages plus lointain. Ses amis. Ceux qui l'ont aidée, jusqu'au bout jusqu'à ... jusqu'à ce que le tourbillon de malheur qui semble l'auréoler ne vienne s'abattre sur eux aussi. Elle revoie encore la tornade rousse fondant sur chaque missile qu'ils recevaient, dans le vain espoir de les neutraliser. Sa mort leur a laissé le temps de faire vingt mètres de plus. Vingt mètres. Jusqu'à ce qu'elle meure, pour elle, pour lui. Lui!

Elle peut compter sur lui, elle le sait. Il ne la laissera jamais tomber, pas après leur pacte, pas après les souffrances communes qu'ils ont enduré la tête haute, depuis toujours. Le seul moyen de leur échapper, c'est de gagner la Forêt. Le seul territoire où leur emprise n'est que superficielle, le seul endroit où les habitants se sont battus.

Cette seule pensée suffit à raviver la flamme ardente qui l'habite depuis le premier jour. Il lui reste un espoir, un dernier.

Elle va leur échapper. Eux, à qui elle faisait confiance. Elle n'arrive pas à croire qu'ils ont pu les rouler à ce point. Oh, elle n'est pas la seule à s'être fait avoir. Tout le monde. Tout le réseau.Elle en subit juste un peu plus les conséquences.

Des chaussures rigides s'approchent de la porte. Elles pourraient traverser le couloir, mais elles semblent hésiter un peu plus à chaque pas qui les rapproche de sa chambre. Elle en est sûre, son audition est excellente. Ce ne sont pas les lourdes chaussures de ses geôliers, mais leurs démarches sont comparables. Celle-là est un peu plus rapide, et légère peut-être. Plus nerveuse, moins assurée.

Elle ne se laisse pas tromper; ses vieux réflexes de fugitive reprennent le dessus.

Méfiance, le mot clé de la survie. Ne faire confiance à personne, jamais. Sauf lui, mais ça ne compte pas.

Les chaussures sont maintenant au chevet de son lit. Une odeur fraîche lui picote les narines, une odeur inconnue. Elle n'a pas le temps de préparer un plan d'action, et de toute manière elle ne serait pas en état de l'exécuter. Des doigts froids se fraient un chemin jusque sous sa nuque, lui provoquant à l'occasion une chaire de poule bien visible, exercent une légère pression et elle sombre aussitôt dans un profond sommeil, un vrai, cette fois-ci.

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