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Ma main tremblante effleure chaque paroi de la pièce à mesure que je longe les murs. Je tourne en rond comme une bête en cage. Il y a de ça, au fond. Une bête en cage. C'est à peu près ça, oui. Imaginons que je sois...disons, un castor. Ils sont quoi, les autres ? Des loutres, des marmottes ? C'est quoi, leur problème, à eux ? On est tous schizo ? Les 4 schizos, envers et contre tout, enfin surtout contre eux ?

Une subite envie me gagne inexplicablement. Je dois me laver, me laver de ses sales mains, de ses affreux souvenirs, je dois me nettoyer. Une souillure, une traînée, voilà ce que je suis. Une prostituée ? Je me suis prostitué. J'ai beaucoup de mal à digérer cette info, sans doute plus que ma prétendue maladie mentale. Je me débarasse d'un geste fébrile de mes vêtements tantôt calcinés, tantôt écorchés. La brûlure dans mon omoplate se fait plus vive à mesure que je m'agite. Elle gagne mon bras, le bas de mon dos, le haut de ma nuque. Je renonce à enlever mon t-shirt et mes sous-vêtements, le moindre mouvement me paralyse des pieds à la tête dans de violents spasmes. Je tire la paroi du lavabo; il est déjà en mode "douche".

J'ai le regard rivé dans le vide, glissant d'un air indifférent sur chaque objet qui traverse ma vision, et c'est sans doute pour ça que je n'ai pas vu la personne pelotonnée dans la douche.

Je retiens ma respiration. La silhouette recroquevillée au fond de l'habitacle semble enfermée dans une bulle, ignorant totalement ma présence. Je prend une grande bouffée d'air ; je viens de reconnaître la capuche noire qui couvre le visage du mystérieux individu de la douche. Encore lui. C'est dingue, où que j'aille il est là. Je vais commencer à croire qu'on est lié par une quelconque force obscure, si ça continue. Je ne suis pas si heureuse de le voir, j'aurais préféré pouvoir pleurer tout mon saoûl en paix, mais je n'ai pas le coeur à le chasser. Il semble bien plus dévasté que moi. Il essaie d'étouffer ses sanglots, et ne relève pas le visage de ses genoux pliés contre son torse. Un enfant, il se comporte comme un enfant. Je ne peux pas le lui reprocher, alors je ne dis rien.

Je m'asseoit silencieusement à ses côtés, en glissant mon dos le long du mur auparavant immaculé. Le contact de la paroi glaciale ravive ma blessure, et je me décolle aussitôt du mur. Quelle imbécile.

Un silence flotte entre nous, je n'aime pas ça. Pour une fois, je n'ai pas non plus envie de parler, mais il ne semble pas être prêt à briser cette horripilante absence de mots.

-Toi aussi, t'es fou ?

Je lui pose la question pour la forme, je connais déjà la réponse. Il était avec moi à l'asile, pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il est aussi taré que moi. C'est curieux, je ne l'aurais pas cru. Il ne semblait pas aussi torturé que moi. Enfin, qu'est-ce que je peux bien en savoir, moi ? Je suis qui, Olympe-la-folle-qui-trouve-les-autres-moins-fous ? Autant éviter de parler d'un sujet que je ne maîtrise pas.

-Sans doute pas autant que toi, mais assez pour être ici, marmonne t-il en relevant la tête.

Je retiens ma respiration. J'espère de tout coeur qu'il faisait une tentative d'humour. Mes épaules s'affaissent d'elles-même, mais je m'efforce de faire tenir mon masque d'impassibilité.

-T'as vu quoi ? Ils t'ont montré quoi ?

-Toi. Ils ne m'ont montré presque que toi. Ou du moins je n'ai vu que toi. Je ne sais pas. Je ne sais rien, en fait. Ce que t'avais subi, ce que t'étais, ce que tu faisais pour que je tienne, ce que tu faisais quand tu pétais un câble, toi, sous toutes tes formes. Ne me demande pas pourquoi. Je ne sais même pas quelle saloperie me bouffe le cerveau. Je sais juste que selon eux, t'es schizo.

Je baisse le menton, et sens mes yeux s'humidifier. Allez, Olympe, tu dois encore tenir. Vous êtes tous les deux au bord de la falaise, une seule larme et vous glissez ensemble. Je prends de grosses inspirations pour maîtriser la crise de larmes qui menacent. Je me sens minable, à un tel point que je n'ai qu'une envie, une irrésistible envie. M'enfonçer plus bas que terre, être engloutie par les entrailles rocheuses et ne plus jamais revenir.

PerseusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant