le chapitre 31, ou la révélation.

8 4 1
                                    


L'homme s'approche d'elle. Il ricane, elle ne frémit pas. Elle à l'air habituée, j'espère qu'elle ne l'est pas tant que ça n'y parait. La main baladeuse exerce de petites pressions le long de sa cicatrice rosée. Sa peau est mal recousue, sa cicatrice infectée, ses bras faméliques, sa peau blafarde, mais son regard est fier. Elle n'est presque pas vêtue, menottée à un mur, malmenée et tripotée, mais elle conserve un air farouche, un air jeune. Elle ne fait pas pitié. Je ne fais pas pitié. Je ne devrais pas, mais je m'en galvanise. Je suis à deux doigts de m'emplir d'orgueil et d'admiration envers moi-même.

L'horrible patte continue ses pressions sur les cicatrices fraiches, j'ai presque l'impression de sentir ces mains sur mon ventre. Le souvenir ne m'est pas revenu dans son intégralité, mais ce que j'en conserve me suffit amplement. Brusque retour à la réalité. J'ai peut être été cette jeune fille indomptable, mais je suis bien affaiblie maintenant. J'ai pris un coup de vieux, en clair. Pourtant c'était il y a peut être... quelques mois ? Quelques années ? Je ne peux pas déterminer mon âge sur la vidéo ; j'ai l'oeil tuméfié, la lèvre fendue, les pomettes couvertes de bleus. Je prend mon courage à deux mains et énonce d'une voix qui se veut intraitable :

-C'était il y a combien de temps ? Où ? Pourquoi moi ?

L'homme à mes côtés étire ses grandes lèvres en un sourire effrayant, dévoilant une rangée de dents peu reluisantes.

-Pourquoi toi ? C'est vrai, après tout, tu n'as rien d'exceptionnel. Ni le visage, ni le fessier, ni même l'intelligence. Que te restes t-il, à mes yeux ? Ta magnifique paire de seins ! Quoi d'autres ?

Je crispe ma mâchoire. Mon souffle se saccade. Je ne dois rien lui montrer. Rien lui montrer. Rien. Il est immonde.

-Je plaisante, bien sûr. Enfin, à moitié. Écoute, et tais toi.

Je lui décoche un regard où je laisse transparaître toute mon humeur vengeresse. Je l'étranglerai de mes propres mains.

Un cri rauque déchire la pièce. Il vient de la vidéo. Le "Monsieur" se marre. Je n'ai pas crié, je ne crie pas. Lui non plus. Qui ?

Un nouveau hurlement déchire le tout nouveau silence qui régnait dans la vidéo comme dans la pièce. Je sais. J'ai compris, c'est Marius. Il est à côté, dans la vidéo. Je ne peux pas le voir, mais il n'a pas l'air d'être dans la même pièce que moi. Ils le torturent à côté, lui aussi. Étrangement, cette pensée me réconforte. Je ne suis pas seule, il est là. Mon moi de la vidéo ferme les yeux et pousse un grognement que je connais bien. Je savais que j'avais toujours affectionné la communication animale, tellement plus simple.

L'homme se reconcentre sur moi, et passe une main dans ma culotte. Je me crispe immédiatement. J'ai l'impression de sentir ses gros doigts calleux et froids sur moi. Je ne réprime plus les frissons qui serpentent mon dos et dressent mes poils. La jeune fille que j'étais se crispe, mais ne dit rien. Son regard s'assombrit, mais défie toujours les prunelles sadiques qui lui font face. L'homme approche ses lèvres des siennes. Je sens le grondement de révolte et de dégoût qui m'agitait. Il grinçe des dents, et me susurre quelques légères paroles.

-Alors. Tu fais moins la maligne, espèce de folle. Je vais te soigner, moi. J'ai compris les bonnes méthodes. Personne viendra te sauver, et tu ne partiras jamais. Et lui non plus. Vous m'amusez, tous les deux. Vous n'avez plus de parents, plus de proches, plus d'amis. Juste... vous deux. Et je vais vous briser, hurle t-il subitement. Il enfonce en même temps un doigt plus profond, et je me mords les lèvres. J'ai mal, il me fait mal. Je le sens encore, je le sens en moi !

Je crispe fort les poings, mes ongles impriment leur marque en forme de demi-lune sur ma paume. Les larmes me montent aux yeux, je veux détourner le regard. Une idée horrible, une idée incongrue, une idée insupportable vient de pointer le bout de son nez au milieu du vacarme qui résonne dans mon crâne. Une hypothèse effroyable, abominable, sinistre, épouvantable, horrifiante, effrayante, redoutable, atroce, affreuse ! Je la repousse violemment vers les oubliettes de ma pensée, mais elle revient à la charge, plus téméraire, plus envahissante, plus ...vraisembable ?

Des petits morceaux de puzzle flottent dans ma tête, encore incapables de s'emboîter. Tant mieux, j'ai peur d'eux, de ce qu'ils auront à me révéler.

Quelqu'un met en pause la vidéo. Je ne parviens plus à retenir une lourde larme qui dévale ma joue lentement, lentement, lentement. Il a le temps de la voir. Il la récupère du bout de son immonde doigt , et me la tend sous le nez.

-Deux options. Soit t'es aussi faible que je l'ai toujours pensé, ce qui n'étonnera personne, soit ton esprit demeuré commence enfin à comprendre.

Je ne lui réponds pas et me contente de relever le menton. J'évite au maximum les contacts physiques entre moi et cet homme.

-Je vais te mettre sur la voie, j'en peux plus d'attendre. Tu sais, je t'observe depuis ton réveil. Le médecin, tu te souviens ? Ta fausse mère, les geôliers, les caméras du studio-cellule... tout ! Et même... la Lune. Ta chère et tendre. Je ne conçois pas qu'un être humain censé puisse être fasciné par une vulgaire patate blême. D'un autre côté, je sais déjà que t'as raison à pris ses clics et ses clacs depuis belle lurette. Si je te dis hébéphrénique, ça te dit quelque chose ?

Je secoue la tête, je ne comprends pas, je ne veux pas comprendre. C'est une de leur manipulation, une de leurs épreuves, c'est tout. Il faut que j' applique les conseils de Marius. Un soir, il m'avait dit d'apprendre à mettre du recul avec tout ça, que je prenais trop la survie du groupe à coeur. Évidemment je l'avais envoyer sur les roses, je le trouvais trop égoïste. Mais il avait raison. Pour survivre, il faut mettre du recul. Surtout moi, sinon je vrille, je dérape complètement. "Tu sais ce que ça veut dire, maintenant ?", reprend la pernicieuse voix dans ma tête. NON ! NON putain de bordel de merde, je ne sais pas et je ne veux pas savoir !

Une deuxième larme s'échappe de ma paupière tremblotante. J'ai le regard rivé dans le vide.

-C'est ton jour. Je t'aide encore un peu. Hébéphrénie, vient de hêbé, jeunesse en grec ancien, et de phrên, esprit. Dois-je vraiment insister sur la signification de ce putain de mot, petite garce ?

Mes yeux s'écarquillent, j'ai toujours le regard rivé dans le vide. Je fais tout défiler dans ma tete, tout ce que j'ai pu inexplicablement apprendre, toutes les langues, les techniques de combat, les techniques de hackage, les techniques d'infiltration, le nom de chaque muscles, de chaque pathologie physique, psychiatrique... Psychiatrique. Hébéphrénie. C'est le nom d'une forme de... Mes mains se mettent à trembler en de violents soubresauts. Il bluffe, c'est une technique de manipulation.

-Bon, tu n'es pas très réveillée. Ça signifie "jeune s...

-Je sais ce que ça signifie ! Et je sais aussi que tu bluffes, que tu mens, tu ne sais faire que ça ! T'es un putain de porc frustré, c'est ça ? T'as un putain de complexe ? Elle est toute petite, c'est ça ? T'as des problèmes de performances ? T'es au courant que y'a des putains de médicaments, pour se soigner, que t'as pas besoin d'assouvir tes pulsions de merde sur des ados ? Tu le sais, ça ! Oui, tu le sais ! Alors maintenant, tu dégages, je ne veux plus jamais te voir... Je n'avais jamais crié si fort, j'ai les cordes vocales en feu. Je finis ma phrase d'un sanglot à peine audible. Il ment, j'ai compris sa tactique.

Il réprime un gloussement.

-C'est pour ça que je t'ai toujours trouvée encore plus siphonnée que les autres. Tu sais que tu vas souffrir, que tu vas être punie, mais tu continues. Et puis, pour sa taille, je crois que t'es plutôt bien renseignée là-dessus, pas besoin d'argumenter.

Il s'approche d'un pas lourd, attrappe mon menton du bout de ses doigts et rapproche son visage du mien.

-Tu refuses d'entendre la vérité. Mais moi je vais te la dire, pour le plaisir de t'entendre souffrir. Parce que tu vas souffrir. Tu vas gémir, crier, te débattre, ressentir ta douleur. Et tu ne pourras rien faire. Rien du tout. Tu seras impuissante, comme tu l'as toujours été.

A cet instant, je fais le serment de ne pas laisser échapper un seul son. Pas un couinement, pas un grognement, pas un cri. Rien.

-Écoutes-moi bien. Tu risques d'être un peu secouée.

Je défie toujours son regard, et ne cache pas mon dégoût chaque fois que son souffle putride écrase mes lèvres.

-Tu es une putain de demeurée. Tu comprends ? Je vais être plus clair. Le terme scientifique, c'est schizophrène. Ça y est, ça te reviens ? T'es une schizophrène, dit il en détachant chaque syllabe, hé-bé-phré-nique. 

PerseusDonde viven las historias. Descúbrelo ahora