Chapitre 35, ou l'étincelle d'espoir

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Ça fait deux jours que nous tournons en rond. Au sens strict, comme figuré. Gabriel s'ennuie, Victoire s'énerve, Marius se tait, et je dors. Autant vous dire que l'ambiance n'est pas au beau fixe.

On a voulu établir un plan, plusieurs fois. Chaque tentative a été soldée par un échec cuisant. Gabriel a évoqué la possibilité de détruire chaque caméra de notre cellule. Certes, l'idée est séduisante. Mais comme l'a si gentiment souligné Marius, ce serait vraiment se bercer d'illusions que d'imaginer un quart de seconde qu'ils comptent gentiment nous laisser faire.

Victoire, partisane de la « Blitzkrieg », comme elle l'a appelé, veut qu'on se carapate le plus vite possible après avoir enlevé nos puces. Traduction, « courrons le plus vite possible, le plus loin possible, après s'être mutuellement mutilés la nuque ». Et Marius ne veut rien, fidèle à lui-même. Il a moins bien digéré la nouvelle de sa maladie que nous, même si il préférerait creuser sa propre tombe plutôt que l'avouer. J'ai bien essayé de lui parler, mais il rejette systématiquement chacune de mes tentatives de contact. Un vrai ours.

Quant à moi, fidèle à l'insatiable utopiste qui sommeille en moi, je veux leur parler. J'ignore si j'en suis réellement capable, mais spéculer un peu n'a jamais tué personne. Imaginons, que par le plus grand des hasards, je trouve la force d'aller les affronter. D'essayer de comprendre. Et que, par miracle, ils acceptent de me recevoir. Serais-je capable de faire face à mon tortionnaire ? De lui parler, de lui tenir tête sans m'effondrer ? Avec Marius, peut être. Je ressasse mon discours depuis des nuits. Des belles paroles, chargées d'espoir, de tolérance, et d'illusions. Ça ne marchera pas.

Ils semblent nous avoir oublié, ou du moins nous laisser un peu de répit. Pour qu'on soit en forme pour la suite de l'expérience, je suppose. Je ne serais pas capable de marcher une fois de plus dans leur combine. Je trouverais forcément un moyen de m'échapper. Un couteau, une lame, n'importe quoi.

« Donner son corps à la science ». Quelle plaisanterie. C'est la science qui m'a pris mon corps, et rien d'autre. Je n'ai rien donné à personne, ni mon corps, ni mon cœur, et c'est pour ça que je suis toujours en vie.

Je n'ai qu'une vague idée de ce qu'il se passe dehors. Je n'ai aucun repère spatio-temporel. Je n'ai aucun repère émotionnel. Je n'ai aucun repère relationnel. J'ai découvert l'amitié, ou du moins la camaraderie. On est bien obligé, pour survivre. On survit ensemble, ou on succombe. C'est simple. « Marche ou crève »:ça n'a jamais été aussi vrai. J'ai appris l'amitié avec Marius, aussi. Je le met à part, il n'a rien à voir avec Victoire et Gabriel. C'est étrange. Cette séparation, ce distingo que je fais, simplement à cause d'une attirance physique...

C'est triste, aussi. Il est solide, capable de survivre, alors mon corps le choisit. Instinct de survie. L'animalité qui sauve l'humanité,alors qu'on fait tout pour s'éloigner de notre état primitif. Ces épreuves nous en ont rapprochés au plus près. Marius ne laisse plus une miette de nos infectes conserves. Gabriel a arrêté ses terribles crises dues aux bruits insoutenables qu'on nous diffuse à heures régulières. Victoire s'endort sans problèmes à même le sol. Moi, je motive les troupes. Je m'efforce de rire avec Gabriel, de discuter avec Victoire, mais plus d'approcher Marius. Trop risqué, il a l'air de s'en sortir tout seul. Une fois, il s'était recroquevillé dans la douche. La cabine où on s'est embrassé. Il tremblait un peu, son regard était rivé dans le vide. Ça faisait plusieurs jours qu'il s'était enfermé dans un mutisme inquiétant, et je m'étais décidée à le sortir de sa torpeur. J'avais prudemment ouvert la cabine, et m'étais laissée glisser contre la paroi humide de la douche, en face de lui, genoux contre genoux. Il avait ignoré ma présence, et j'ai eu le malheur d'ouvrir la bouche. Ses prunelles haineuses ont remonté jusqu'à mes yeux inquiets. J'ai eu peur. Il n'était pas lui, il respirait la haine et la méchanceté. En y repensant, j'ai cru voir une lueur de peur traverser ses iris ombrageuses, vite effacée par cette effroyable flamme destructrice. J'avais soutenu son regard, avant qu'il ne finisse par me faire fuir. J'ai eu honte, j'ai toujours honte.

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