Chapitre 34

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Mon pire cauchemar se réalise. J'exagère à peine, je vous jure. Emportés dans une fièvre adolescente, Marius et moi n'avons absolument pas entendu la porte s'ouvrir, ni les pas lourds de deux phacochères exténués, et encore moins le battant de la douche s'ouvrir, et n'avons pas non plus remarqué les quatre yeux ronds qui nous fixaient. Mesdames et messieurs, je vous annonce sollennelement le retour de Victoire et Gabriel dans nos vies. Ils sont encore vivants, génial. Je plaisante. Comprenez-moi, ils choisissent toujours le bon moment pour se pointer, ces deux-là !

Je leur pardonne pour cette fois, uniquement parce que je suis beaucoup trop gênée pour leur en vouloir ne serait-ce qu'un peu. Je me détache lentement de Marius, et pousse un petit, minuscule soupir.Les deux voyeurs ont bien sûr eu le temps de fuir et de prendre un air innocent en s'affalant sur les matelas. Gabriel a poussé un soupir théâtral avant de prendre un air de grand philosophe et de s'exclamer :

-Laisse, ma chère amie, laisse. La jeunesse s'amuse, la jeunesse s'amuse sans nous, mais elle s'amuse. Notre présence n'est apparement pas nécessaire à leur bonheur. Ces deux sauvages assoiffés de sexe veulent s'adonner à une petite sauterie pendant que nous risquons la mort pour leur beaux yeux.

Je lève les yeux au ciel mais je ne peux pas empêcher mes lèvres de s'étirer en un grand sourire. On est tous vivants. Sans doute tous fous, mais tous vivants ! Je me retourne vers Victoire, et lui sourit béatement à elle aussi. Je n'entends plus le laïus interminable de Gabriel, mais je distingue tout à fait nettement les oeillades sombres, que dis-je, assassines, que Marius lui lance. Il aura tôt fait de rendre le blond muet pour un temps.

Les deux garçons ont entamé un vif débat sur la vie privée, qui serait selon Marius un terme totalement inconnu à Gabriel, qui lui juge cette vie privée superflue quand quatre personnes sont confinées dans la même pièce.

Je m'écroule à côté de Victoire. Elle se lance dans un flot de paroles ininterrompues, elle me raconte les épreuves qu'ils ont du affronter, les salles, et surtout la dernière. Ils ont eu un parcours bien différent du nôtre, finalement. Ils sont dans un piètre état physique et mental, comme nous d'ailleurs. Je ne retiens pas le détail de leurs épreuves, je suis bien trop fatiguée, je mène déjà une lutte ardue contre mes paupières, qui veulent à tout prix se fermer indépendamment de ma volonté.

Les garçons ont arrêté de se chamailler, et se sont agglutinés autour de nous pour écouter une Victoire incapable de contenir la vague de mot qui franchit ses lèvres abîmées.

-On arrive à la fin, à la dernière salle. Le pourquoi du comment.

- Je commence, annonce Gabriel. Me regardez pas comme ça, j'ai rien appris qui va changer ma vie, hausse t-il les épaules. Mes parents sont des gens aussi insignifiants qu'impuissants, ils m'ont confiés au soin d'un asile spécialisé dans les cas les plus graves, ils ont abandonné, en résumé. Je devais être un trop lourd fardeau pour leur frêles épaules. La suite... ben vu vos sales têtes, je présume qu'on a eu droit à des traitements plus au moins similaires, pas besoin de vous briefer. Je suis hyperactif. Voilà, ça n'a rien d'un secret pour vous, quand on connait ma joie de vivre et mon énergie légendaire, s'amuse t-il. A vous !

-Je...

 j'essaie d'enchaîner, mais je regrette aussitôt. Que vont-ils penser ? Sans aucun doute, c'est moi la plus folle ici. J'espère qu'ils ne vont pas avoir peur, je serai mortifiée. Rectification, je suis mortifiée. Une main rassurante vient me frotter le dos, pour m'encourager. Je ne sais pas à qui elle appartient.

-Mes parents m'ont aussi abandonnée quand j'avais treize ou quatorze ans, je devais faire peur, pendant mes crises. Je suis schizophrène, dite hébéphrénique. C'est la forme la moins grave, si on peut la définir ainsi, et se déclare chez les adolescents. Bref, j'ai... survécu dans la rue par différents moyens, puis les services du Serveur m'ont confiée à un asile. Ils ont tenté des dizaines de thérapies, incluant toutes diverses tortures, sans oublier le grain de sel du directeur de l'asile. Celui qui dirige cette expérience. Il semble avoir développé une sorte d'attirance, d'obsession perverse envers mon humble personne, et s'amusait à se filmer. Je vous passe les détails, pour ma dignité, je conclus avec un faux air assuré.

PerseusWhere stories live. Discover now