Chapitre 1 - Emy

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- Paul ! Tu peux venir m'aider ?

J'entends mon père souffler, et je sais qu'il essaie de contenir son agacement.

- Je fais la vaisselle, grogne-t-il, sans pour autant répondre à ma mère.

- Tu peux bien arrêter deux secondes, non ? Ce ne sera pas long.

Chaque fois, c'est la même chose. Cela ne dure jamais "deux secondes", mais plutôt une heure, que mon père aurait préféré passer loin de sa femme.

- Donc, tu as ta feuille de calcul, il faut que tu enregistres la facture, ici. Tu glisses ta souris là.

J'aperçois mon père expliquer à ma mère comment se débrouiller, pour remplir une feuille de calcul. Leurs mains ne se touchent même plus, et je retiens mes larmes. Pourquoi mes parents ne peuvent-ils pas être comme tous les autres parents ? S'aimer, et pardonner pour chacune des petites erreurs de la vie ?

Mais non, ce foutu destin a décidé de me pourrir la vie, et de me laisser avec ces deux parents, qui ne savent faire que des reproches.

- Tu ne comprends jamais rien, c'est toujours pareil, de toute façon, tu ne changeras jamais ! C'est pourtant simple, non ? Tu as juste à cliquer ici ! Alors fais-le, bordel ! s'exclame brusquement mon père, et je sais que cette situation commence à l'énerver.

- C'est bon, j'ai compris. Tu n'as aucune envie de m'aider. Tu peux retourner faire ta vaisselle.

Après avoir dit cela, ma mère fait comme si elle ne voyait pas que mon père serre les poings, et continue de travailler.

Mon paternel quitte le bureau, à bout de nerfs, et soudain, j'entends un gros bruit retentir dans la cuisine. Je ferme les yeux, souffle un bon coup, parce que je sais qu'il l'a fait volontairement, et que ma mère ne va pas tarder à débarquer. Cachée derrière la porte du salon, je peux les voir, et aussi bien les entendre.

- Ça va ? dit-elle, les yeux plissés.

Mon père arrête de ramasser les morceaux de verre au sol, et relève son visage vers elle.

- Depuis quand, t'inquiètes-tu pour moi ? Hein ? Dis-moi, c'était quand la dernière fois que tu m'as demandé comment j'allais ? Il y a des années.

Et je sais que mon père dit la vérité. Ma mère ne se soucie plus de lui, elle n'en a plus rien à faire.

- Je n'ai aucun compte à te rendre, lâche-t-elle, puis elle fait demi-tour.

- Va te faire foutre, j'entends mon père murmurer.

Mais ma mère a déjà tourné la poignée de la porte, et avec horreur, je vois son corps s'arrêter devant le mien, et elle plante ses yeux dans ceux de sa fille.

- Que fais-tu ici ? Tu nous espionnais ? demande-t-elle, et ses yeux se remplissent de cette déception que je déteste tant voir.

- Non, non, je... pas du tout ! bégayé-je maladroitement. Je voulais juste manger quelque chose.

- À cette heure-là ? s'étonne-t-elle.

- Ouais, soufflé-je.

À cet instant, j'ai envie de lui hurler d'ouvrir les yeux, pour qu'elle puisse voir que cela fait déjà plusieurs jours que je saute des repas, et que je mange vraiment à n'importe quelle heure.
Ne peut-elle donc pas remarquer à quel point, je commence à me sentir mal dans ma peau ? Ne peut-elle donc pas être présente, comme n'importe quelle autre mère le serait ? Est-elle incapable de m'aimer ? Je n'ai fichtrement aucune réponse à ces questions.

- Putain, mais fais attention ! Tu ne peux pas mettre des chaussons ? Tu ne vois pas qu'il y a du verre partout ?

Mes larmes ne vont pas tarder à refaire surface, et je prends sur moi, pour les refouler. Pleurer, c'est montrer qu'on est faible.

La tablette de chocolat entre les mains, je ne réponds pas à mon père, qui ne cherche qu'à me provoquer, et rejoins rapidement ma chambre.

J'ai mal. Et la douleur ne fait qu'empirer au fil du temps. Elle s'agrandit, et se répand en moi, comme une maladie mortelle le ferait.

Les pas de mon père résonnent dans toute la maison, quand il va décrocher le téléphone. J'essaie d'écouter la conversation, mais je n'arrive même pas à deviner quel est son interlocuteur.

Soudain, je n'entends plus sa voix grave, et je fronce les sourcils. Pendant plusieurs secondes, la maison est totalement silencieuse, et mon frère, du bout de la porte de sa chambre, en face de la mienne, pose un doigt sur ses lèvres.

- Non !

Je sursaute brusquement à l'entente du cri de mon père. Que se passe-t-il, vraiment ?

Les marches de l'escalier craquent sous mes pieds, et j'effleure doucement la rampe de ma main gauche.

- Paul ? appelle ma mère.

Je franchis la porte de la cuisine, et regarde mon père, effondré sur la table. Ma mère se place derrière moi, quelques minutes plus tard.

- Papa ? murmuré-je, avec la peur de poser la question qui me démange.

- Partez, souffle-t-il, et c'est à peine si nous l'entendons.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Mon frère passe devant moi, et s'approche de mon paternel, lentement. Ce dernier relève la tête, et je vois son visage strié de souffrance.

- Grand-mère est décédée.

Ce coup de poing que je reçois dans la poitrine, me fait ressortir de la réalité. Il me pousse dans les recoins les plus sombres de l'univers, loin des planètes, des étoiles. Il me pousse vers un monde, appelé la douleur.

Les battements de mon cœur ralentissent, et ma respiration se bloque. Mes poumons cessent de prendre de l'air. La douleur prend place au plus profond de mon être. Est-ce donc cela, souffrir ? Être possédée par quelque chose, que l'on ne peut même pas contrôler. Cette sensation étouffante, angoissante et déprimante.

Une main invisible se resserre autour de ma gorge, et m'empêche de respirer. La douleur est lancinante, elle percute chacun de mes muscles, en les écrasant à son passage.

Lorsque je sens mes genoux flancher sous mon corps et les larmes me monter aux yeux, je fais demi-tour, avant d'entendre la dernière phrase que prononce mon père.

- Arrêt cardiaque, morte dans son sommeil.

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(oui, je sais, je suis censée publier en septembre, mais bon, j'ai besoin de me changer les idées. voilà. )

j'espère que ça vous aura plu :)

Prends ma mainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant