Chapitre 39 - Emy

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- Maman ? appelé-je distraitement en me triturant les doigts.

Dans le couloir de l'entrée de la maison, des cris de disputes résonnent. Mon frère passe devant moi en me butant l'épaule, épaule que j'attrape au passage.

- Hé ! Ça va ?

En réponse, un regard mauvais de sa part, et il se dégage d'un mouvement de bras. Puis fonce dans sa chambre, et j'entends son lit grincer. Mes pas se rapprochent du centre des paroles sans joie.

- Je t'avais pourtant dit de mettre cette enveloppe dans cette putain de boîte aux lettres, Paul ! C'était pas compliqué, quand même, merde ! s'écrie ma mère, laissant sa voix monter dans les aiguës.

- Emy pouvait très bien le faire seule, tente de se justifier mon père, et mes yeux se ferment légèrement.

- Je m'en fous ! Ce n'est pas à elle que je l'ai demandé ! s'exclame ma génitrice, sa colère montant en flèche.

- Tu n'avais qu'à le faire, si cela ne te convient pas, réplique mon père.

Je risque un coup d'œil dans l'encadrement de la porte, et aperçois mes parents en face à face, plus en guerre que pour faire la paix.

- Tu sais quoi ? Pars. Ne reviens pas. Parce que de un, tu restes dans cette putain de maison alors que tu me trompes, de deux, tu n'en as plus rien à faire des enfants, et de trois, je pense que si c'est pour passer tes journées à m'engueuler, tu peux te casser, lâche ma mère d'un ton étrangement calme.

Maman... toi non plus, tu ne fais plus attention à nous, et c'est toi, qui lui fait des reproches, pas lui...

J'aurai aimé lui crier de regarder la vérité en face, de leur dire que tout ceci n'est que mensonge, que l'on devrait vivre comme avant. Mais aujourd'hui, plus rien n'est possible. Pas de retour en arrière, pas de possibilité de tout modifier.

- Maman... soufflé-je, et pendant quelques secondes, ma gorge se noue et je ne suis plus capable de dire un seul mot.

Mais elle ne m'entend pas, elle continue de hurler sur son ancien mari, en m'ignorant. Comme elle a toujours su le faire.

Cette fois-ci, je fais un pas, et les observe à travers la porte, mémorise leur visage aux traits durcis par la colère. Leur expression présage que cette dispute ne va pas se terminer dans de bons termes. Et qu'importe ? Leur relation amoureuse est déjà éteinte depuis plusieurs années, ils ne veulent seulement pas se l'avouer en face, ne pas prendre la réalité de plein fouet.

Ma mère, autrefois si douce et si câline avec nous, est désormais habitée par une colère et une vengeance qu'elle va tenir -je le sais- envers mon père de l'avoir trompée. Tandis que ce dernier, je ne comprends pas pourquoi il reste dans la même maison que nous, alors qu'il ne prête plus aucune attention à ses enfants et à son ancienne femme.

Maman, papa, je vous dis au revoir, définitivement. Je vous aime. Mais je ne peux plus vivre avec vous en de telles conditions.

Arrivée devant la porte de la chambre de mon frère, je frappe trois petits coups après avoir pris une grosse bouffée d'air. Pas de poignée qui s'abaisse, pas de "va-t-en !", pas de réponse. Alors, je décide de l'appeler.

- Sam ?

Je fronce les sourcils, quand il me répond de partir. Je pénètre dans son lieu de sommeil, et découvre le bordel phénoménal qui s'y promène. Des livres, partout, des jeux vidéos non-rangés, des vêtements dans la poubelle de son bureau, et lui, recrovillé sur son lit.

- Ça va ? lui demandé-je doucement.

Il relève la tête vers ma silhouette, et j'aperçois ses cils humides.

- Ouais, super bien, comme tu peux le voir, ironise-t-il en levant les yeux au ciel. Je t'ai dit de sortir, répète-t-il, plus sèchement.

- Je... ok. Tu veux de l'aide pour arranger tout ça ? lui proposé-je, en balayant la pièce de la main.

- Nan, c'est bon.

À l'instant où il prononce cette phrase, je comprends qu'il a mis en bazar sa chambre volontairement, pour que les parents s'en aperçoivent. Pour qu'ils prennent conscience que leur fils est toujours vivant. Et pourtant, je sais que mon frère est comme moi. Si mes parents ne lui prêtent pas plus d'attention, il finira en miettes.

Je baisse la tête, avant que la tristesse ne me monte à la tête, et me dirige vers l'entrée de la chambre. Quelques pas avant d'en sortir, je m'y arrête, prête à prononcer ces mots que je n'ai pas articulé depuis quelques années.

- Sam ? N'oublie pas que je t'aime. Prends soin de papa et maman, lâché-je sans me retourner, puis je quitte la pièce, les larmes menaçant de couler.

Quelque part, je crois que j'aurai aimé qu'il tente de faire une chose qui m'aurait empêchée de partir, mais je devine tout aussi facilement qu'il a compris.

De retour dans ma chambre, j'attrape mon sac Eastpak®U.S.A bleu clair, et y glisse une feuille, une tablette de chocolat, ainsi que mon téléphone portable, que je n'utilise que très peu.

Mes foulées deviennent de plus en plus lourdes, lorsque je descends les marches de l'escalier qui mène à l'étage. Mon esprit me hurle de faire demi-tour, de me jeter dans les bras de mon frère, et de l'emporter avec moi, mais ce serait bien de trop égoïste. Mes jambes ne demandent qu'à s'enfuir de ce lieu qui ne fait que me faire souffrir.

Je choisis de sortir par la porte que nous n'utilisons que pour aller dans le jardin, ou pour ramener les courses, et je ferme les yeux un cours instant, pour m'imprégner de l'air de la maison dans laquelle j'ai vécu dix-sept bonnes années. Quand je rouvre les yeux, rien n'a changé. Le paysage est toujours le même, toujours aussi campagnard, toujours aussi beau.

Avec un soupir, et au pas de course, j'arrive au parc. Ma feuille tombe sous le saule pleureur, et j'ai un moment d'appréhension. Que dira-t-il lorsqu'il le lira ?

Je hausse les épaules, répondant à ma question muette. L'avenir m'attend.

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