Chapitre 40 - James

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Avant que la douleur ne fasse sa brusque apparition, mes jambes se meuvent, et le reste de mon corps les suit. Le seul parc de la ville est l'unique endroit où je peux y déposer mon chagrin, qui rejoindra celui d'Emy. Je me hâte, plus pressé de retrouver mon amie que de noyer mes larmes, mais je me fige lorsque je remarque la place vide sous le saule pleureur. Mes yeux se plissent, cherchent sa silhouette, peut-être cachée dans les buissons alentours, mais aucune trace ne s'y trouve.

Et pourtant, quand je me rapproche du lac, un morceau de papier est posé au sol, fixé par un bâton en bois pour qu'il ne s'envole pas. Persuadé qu'il s'agit d'Emy, je l'arrache du sol, faisant valser le bout de bois.

La première chose que je regarde, c'est l'auteur du mot, qui n'est autre qu'Emy. Au fur et à mesure que mes yeux glissent sur les mots, mon souffle se coupe, comme si quelque chose m'avait écrasé ma poitrine, empêchant l'air de passer dans mes poumons.

<< James, j'espère que ce sera toi qui trouvera ces lignes. Merci pour tout ce que tu m'as apporté, mais tu n'aurais jamais pu combler le vide que d'autres personnes ont creusé. Ce n'est pas à toi de réparer les blessures des autres. Va voir Pierre, c'est un bon psy, et je suis certaine qu'il t'aidera volontier.
Je t'aime sincèrement, James. Mais je dois partir, pour le bien de tout le monde.
Je suis désolée.
Emy. >>

La seconde d'après, mon apnée cesse, et mes poumons explosent. Je regarde autour de moi, tous les sens en alerte, et le cerveau tournant à plein régime. Où est-elle ? Où est-elle partie, putain ! Réfléchis, James... réfléchis ! Merde ! La falaise !

L'adrénaline qui coule dans mes veines ne fait qu'un tour, stoppant toute larme et toute tristesse de déborder du vase. Il y a encore une chance ! Je ne sais pas quel chemin j'emprunte, mais une chose est sûre : le paysage à côté de moi défile à vive allure, et je n'ai pas le temps de m'extasier dessus. La lune me pèse sur les épaules, alors que les étoiles comptent sur moi pour la sauver. Cet espoir est lourd à porter, parce qu'au fond de moi, je n'y crois plus vraiment.

Mes chevilles me font mal, et je sens les premières ampoules pointer leur bout de nez. Ma vitesse double, parce que je n'ai aucune idée du temps qui s'est écoulé entre le moment où elle a déposé le mot, et celui où je l'ai lu.

- Emy, chuchoté-je entre deux bouffées d'inspiration.

Arrivé chez moi, je me précipite devant la porte d'entrée, ouvre cette dernière en la claquant contre le mur, chope les clés de la voiture de mon père, et grimpe à l'intérieur. Je remercie ma mère de m'avoir appris les bases de la conduite. J'allume le moteur, passe la première vitesse, et enfonce la pédale d'accélérateur, faisant rugir le moteur. Ma conduite est brusque, presque sauvage, mais je suis prêt à tout pour défendre Emy contre notre pire ennemie.

Je ne vois pas les maisons passer à une vitesse hallucinante, et je ne vois pas non plus le compteur augmenter, et sur le coup, je me fiche bien d'être dangereux aux yeux des autres. Seule Emy compte.

Il me faut bien un quart d'heure pour arriver où mon amie se trouve. Mon front s'échoue contre le volant lorsque je m'arrête, et je m'aperçois qu'elle est là, assise en tailleur au bord de la falaise, les yeux fermés et les écouteurs plantés dans les oreilles. Mes phares doivent sûrement l'aveugler, alors je les éteins, et je peux compter sur la lune pour me montrer le chemin qui me mène à elle.

- Emy ! hurlé-je, et elle relève la tête. Éloigne-toi !

Son visage s'éclaire. Elle se lève, arrache les écouteurs de ses oreilles, et j'entends mon cœur ralentir ses battements. Je l'ai retrouvée ! Elle est vivante ! Il n'y a plus que quelques pas qui nous séparent, alors que j'ai l'impression que ce sont d'énormes kilomètres.

- Regarde les étoiles, James, me murmure-t-elle, et je l'écoute.

Elles brillent toutes. Le ciel est dégagé, nous offrant une magnifique vue. Le soutien du ciel étoilé est un espoir que nous avons perdu tous les deux.

- Emy ?

- Oui ?

- J'ai oublié de te dire un truc, soufflé-je en comblant le vide entre nous.

Je suis si proche d'elle que je peux voir ses yeux verts parsemés de petites taches caramel. Mes mains attrapent ses hanches, alors que mes iris glissent sur ses lèvres. Je sens ses doigts dans mes cheveux, et un frisson d'impatience me parcourt. Dans un soupir, je pose doucement mes lèvres contre les siennes. Le baiser que nous échangeons est teinté de l'émotion qui nous aime, la tristesse. Il a le goût de l'adieu, des dernières fois, de tout ce que nous avons traversé ces derniers mois.

Son odeur de framboise me chatouille les narines quand nous nous séparons. Nos fronts se collent, nos yeux plongent dans leur océan respectif.

- Je ne peux pas te laisser partir, Emy, chuchoté-je.

- Et moi, je dois lâcher ta main, me répond-elle.

Un vrai sourire se dessine sur les lèvres que je viens d'embrasser, mais il est peint avec les couleurs de la souffrance qu'elle ne pourra jamais guérir. Elle se retourne, et, impuissant, je regarde son dos s'éloigner de moi. Ses cheveux longs volent derrière elle, et je m'en veux de ne pas pouvoir la retenir.

Je cligne des yeux. Un regard en arrière. Une esquisse de sourire. Une main qui s'agite. Un au-revoir. Un saut. Une violente douleur.

Mes genoux s'écroulent au sol. Je ne vois plus rien. Ne sens plus rien. N'entends plus rien. Ne touche plus rien. Je suis coupé du monde. Je veux la rejoindre. Mais la douleur me cloue au sol, je suis complètement figé de stupeur par ce qu'il vient de se passer.
Le choc me tétanise. Il plante ses griffes dans mon cœur écorché, et l'arrache de ma poitrine.

Je reviens brusquement à la réalité, qui me frappe de plein fouet. Le sac à dos d'Emy est resté à côté de moi.

Un mot.
<< Ne m'en veux pas. J'ai lâché ta main, mais pas ton cœur. Je suis toujours avec toi.
Je t'aime.
Emy. >>

Un objet : une tablette de chocolat.

Et malgré tout, un sourire.

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me tuez pas :-:

mais c'est la fin.

Prends ma mainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant