Chapitre 23 - Emy

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- Véga, tu connais ? me demande James en s'allongeant sous le saule pleureur à côté de moi.

Je tente un sourire, qui doit ressembler plus à une grimace qu'autre chose.

- Évidemment. De la constellation de la Lyre, confirmé-je.

Du coin de l'œil, j'observe ses lèvres s'étirer de chaque côté de son visage, et mon cœur se serre à l'idée qu'il puisse aller mal.

- Pourquoi tu ne vas pas bien ? questionné-je, les yeux plongés dans l'océan bleu parsemé de petits points blancs au-dessus de nos têtes. Enfin, je veux dire, c'est quoi qui te rend si mal ?

Ses paupières se closent, et je me surprends à le détailler du regard, comme si je le revoyais pour la première fois.

Mais pourtant, aujourd'hui, ses traits paraissent plus fatigués, et il semble sur les nerfs. Peut-être que seule la nuit lui permet de respirer sans enfiler ce masque qui le cache du monde le jour.

La lune reflète parfaitement son teint pâle, et malgré tout, quand il se tourne vers moi, je regarde ses yeux briller pour celles qu'il admire le plus : les étoiles.

- Tu as déjà rêvé que les étoiles pourraient soigner tes problèmes ? Moi, j'aimerai bien que ce rêve se réalise.

Il marque une pause, avant de reprendre, et je le vois se mordre la lèvre.

- Je ne sais pas trop si je devrais t'en parler, mais... disons que j'ai perdu ma mère lorsque j'étais assez jeune. En fait, on ne m'a jamais dit la vérité. Je ne sais même pas si elle est encore en vie, et qu'elle a simplement disparue, ou alors... elle est là-haut, balbutie-t-il, la voix chevrotante, sans aucun doute à cause de l'émotion.
Elle avait un cœur en or, une générosité sans fin... le genre de femme à toujours être là pour les autres, tu vois ? ajoute-t-il. Elle adorait s'occuper de ses plantes, surtout de ses fleurs. Je ne l'ai pas connu longtemps, et pourtant, j'ai beaucoup appris d'elle.

Il ouvre de nouveau la bouche, mais la referme aussitôt. Quelques minutes plus tard, après un temps de silence, James me parle à nouveau de sa mère.

- Elle me manque énormément. Il n'y a pas beaucoup d'enfants qui grandissent sans leur mère, et je peux te promettre que c'est plus qu'un handicap, explique-t-il à voix basse.

Je fronce les sourcils. Comment peut-il rester dans l'ignorance face à ce qu'il est advenu de sa mère ?

- Et... enfin, ton père ne t'a jamais dit pourquoi ta mère n'est plus là ? demandé-je prudemment.

James est beaucoup plus sensible qu'il ne le montre, j'en suis persuadée. Derrière son corps assez musclé pour un garçon de son âge, son cœur n'est pas en pierre, comme il veut le montrer aux autres. Un seul pincement ou une seule piqûre sur ce dernier peut faire valser son état émotionnel en quelques secondes.

- Mon père est un connard, déclare-t-il.

Je ne cache pas vraiment ma surprise, alors que j'avais émis cette hypothèse. Soit il ne l'a jamais connu, soit il a abandonné son fils et sa femme, soit il a fait quelque chose d'impardonnable.

Je patiente pour qu'il me donne la raison exacte de sa précédente phrase, mais rien ne vient, et je n'ose pas satisfaire ma curiosité en lui posant la question.

- Ma mère aimait beaucoup passer du temps sous les saules pleureurs. Elle disait qu'ils pouvaient soigner nos peines et nos plus gros chagrins, lance-t-il. Tu vois ces fleurs ?

Il pointe du doigt de jolies tulipes.

- Ce sont des tulipes jaunes et panachées. Il y en a qui ont des taches rouges, ce sont les tulipes à boutons de rose rouge, me raconte-t-il.

- Elles sont magnifiques, dis-je dans un souffle.

- Ouais, affirme-t-il. Ma mère disait que c'était le symbole de l'amour.

Une petite pluie commence à nous tomber dessus, nous cachant une bonne partie du ciel étoilé.

- Elle t'aurait bien aimée.

Des frissons me parcourent lorsqu'il prononce cette phrase. Je n'ai rien de ce qu'on peut qualifier d'aimant.

J'hésite à lui parler de ma mère, mais j'ai le sentiment qu'il ne me jugera pas si je le fais. Et pourquoi le ferait-il ?

- Tu as de la chance d'avoir connu ta mère, soupiré-je. La mienne a toujours été une étrangère à mes yeux. Elle ne m'a jamais traitée comme sa fille, et je ne pense pas qu'elle le fera un jour, ajouté-je.

- Pourquoi ? m'interroge-t-il.

Mes yeux se dirigent vers les siens, qui ne brillent plus autant qu'avant.

- Parce qu'elle privilégie son travail à sa famille, répondis-je, tout à coup envahie par une vague de tristesse.

- Des mères comme ça ne méritent pas d'avoir des gosses si elles ne peuvent même pas s'en occuper. Ça t'affecte bien de trop, réplique-t-il. Je connais quelqu'un, je sais que sa mère ne l'acceptera pas pour ce qu'il est. C'est triste, mais c'est comme ça. Et il faut se battre pour ce que la vie nous refuse. Parce que ce n'est pas en encaissant les coups que nous avancerons.

Nous sommes légèrement trempés, et une petite brume s'installe dans l'air.

- Emy ?

Mes pupilles volent vers les siennes, et nous restons comme ça, à nous dévisager pendant quelques secondes.

- N'abandonne pas, d'accord ?

Je réponds positivement par un mouvement de la tête.

- J'ai déjà essayé. Mais j'ai beau tout faire pour qu'elle m'aime, je crois qu'elle en est tout simplement incapable, lâché-je.

- Elle finira par comprendre que tu as besoin d'elle, j'en suis certain, chuchote-t-il.

Les iris de James se remettent soudain à briller, et je vois quelques larmes perler au coin de ses yeux.

Un soupçon de regret me noue la gorge, quand je me rends compte que je me suis plainte de la relation que j'ai avec ma mère, alors que lui ne pourra jamais -ou peu- en avoir.

- Je suis désolée, m'excusé-je, le regard embué à mon tour.

- Hé, ce n'est pas de ta faute, souffle-t-il. Tu n'y peux rien, ne t'excuse pas.

Alors, le seul geste que je trouve à faire, pour lui apporter tout mon soutien, c'est de lui prendre la main.

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bruh

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