Chapitre 30 - James

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Trois coups forts frappés à ma porte d'entrée me provoquent un sursaut de peur.

- C'est qui ? me crie Val' de sa chambre.

Je hausse les épaules, avant de me rappeler qu'il ne peut pas me voir, et je lui reponds aussitôt que je n'en ai pas la moindre idée. Mon verre d'eau se pose sur la table, alors que je me lève lentement de ma chaise.

Mes pieds repoussent les chaussettes qui traînent au sol, j'avais pourtant prévenu Val' que je ne supporterais pas ça, mais ça m'a exaspéré, et j'ai fini par abandonner la lutte.

J'abaisse la poignée de la porte, au moment-même où un autre coup retenti.

- Police. James Hunt est ici ?

- Bonjour, dis-je poliment, un peu effrayé au fond de moi, en priant pour que Val' ne fasse pas son entrée dans les minutes suivantes. C'est moi-même. Vous voulez entrer ? proposé-je, et à ma grande surprise, ils acceptent.

Les deux policiers se posent dans la cuisine, tête baissée et moue triste. Est-il arrivé quelque chose à quelqu'un que je connais ? Oh non, pas Emy, pitié...

- Vous vivez seul ? me demande le barbu, en fronçant les sourcils, et en regardant partout autour de lui.

- Non, avec un ami, répondis-je.

- Vous êtes majeur ?

- Jérôme, rétorque le plus petit, en posant une main sur son bras. On n'est pas venus pour cela, James, dit-il, cette fois en me regardant.

Une ambiance tendue prend place dans ma petite cuisine, et j'attends avec impatience ce qu'ils ont à me dire. Pourquoi ne parlent-ils pas ? Que se passe-t-il ?

- Nous avons une mauvaise nouvelle, lance Monsieur Barbu, et je remarque que son ventre dépasse légèrement de sa veste.

- James ?

- Oui, excusez-moi, lâché-je dans un murmure. Vous disiez ?

- Nous comprendrons si tu deviens violent, en colère, ou quoi que ce soit d'autre, d'accord ? Mais ne fais pas de conneries qui pourraient te mettre en danger, m'explique le Barbu, et je note le tutoiement.

- Ouais, ok. C'est bon, je suis prêt, dis-je.

- On y va, alors. En regardant nos dossiers, nous nous sommes aperçus que... quelqu'un t'a dit que ta mère a disparu, commence le Petit.

Oh non... est-elle vivante ? Pourrais-je la revoir ? Mes yeux s'agrandissent de stupeur. Est-ce possible ?

- Mon père m'a dit ça, oui, confirmé-je, en hochant la tête.

- C'est aussi ce qui est écrit sur le dossier de tes parents. Sauf que ce n'est pas exactement vrai, grogne le Barbu.

- Vraiment ? Elle n'a pas disparu ? Elle est vivante ? Ou est-elle ? demandé-je précipitamment, ma joie se creusant au fond de ma tête.

- James... Elle n'est pas vivante. Elle n'a pas disparue non plus. Nous sommes désolés, s'excusent-ils.

Aussitôt, je comprends que le fait que ma mère ne soit pas vivante a un lien avec la prison de mon père. Et que ce que les policiers ici présents en face de moi vont m'annoncer, va me détruire encore plus que je ne le suis.

- Est-ce... à cause de mon père ? les questionné-je, alors que la souffrance remplace rapidement la joie que je me suis imaginée.

- Oui, James. Tes parents ont eu un accident de la route.

- Quoi ? Je croyais que c'était ma mère qui en avait eu un ? les interrogé-je, perdu.

- Ce n'est pas exactement ce qu'il s'est passé. Ton père avait pris le volant, après avoir trop, beaucoup trop bu. Ta mère était négative au test d'alcool. Ils ne conduisaient pas la même voiture. C'était sur une route départementale, il n'y avait pas grand monde. Ton père roulait beaucoup trop vite, James.

- Mon père a... tué ma mère ? réussis-je à souffler.

Le coup de poing imaginaire qui me rentre dedans n'est rien comparé à la douleur émotionnelle qui m'assaille. Pourquoi ne m'as-tu jamais rien dit ?

- Merci, chuchoté-je, en m'aggripant difficilement au meuble derrière moi, et je me suis demandé d'où me venait cette force pour continuer à tenir debout. Mais c'est impossible...

Et pourtant, les regards des policiers me trahissent le contraire, et aveuglé par la colère et ravagé par la tristesse, j'attrape vivement mon skate, et quitte la maison. Je ne sais pas combien de temps je roule, je me plie, m'aligne avec le vent, pour tenter d'effacer cette putain de douleur qui me brise les côtes et le crâne.

Mes yeux me piquent, et je laisse les larmes dévaler mes joues, le temps de quelques minutes. Malgré tout, mon être entier me hurle de me débattre, de ne pas me laisser embobiner par ces policiers, mais je sais que c'est la vérité. Une vérité que mon père a réussi à me cacher. Je le déteste, mais putain, je le hais !

Sans faire attention, je trébuche sur le bord du trottoir, et j'entends une voiture, non-loin de moi.

- James ! Nous t'avions dit de ne rien faire qui pourrait te nuire !

La voix du Barbu passe par une oreille, et ressort par l'autre. Je fais rapidement demi-tour, et la vue floutée, je crois apercevoir le parc, juste devant moi.

J'ignore les passants peu nombreux qui marchent, pour regarder le crépuscule, et me dirige aussitôt vers le saule pleureur. Je prie de toutes mes forces pour qu'Emy soit là, mais tout ce que je vois en arrivant, c'est un tas de larmes, et son visage aussi triste que le mien.

Je m'écroule contre elle, et la serre contre moi, comme si je tenais une poupée.

- Ma mère est... morte, déclaré-je entre deux sanglots.

- James... murmure-t-elle, la voix secouée par les pleurs.

- Mon père... c'est lui qui l'a tuée... soufflé-je difficilement. Je... je veux mourir...

- Tu... tu ne vas pas... mourir, soupire-t-elle.

Le silence qui suit nos paroles est pesant, lourd de sens. Quand je regarde les traits de son visage, à travers nos deux rideaux de larmes, je remarque que ses yeux n'ont plus cette étincelle étoilée des débuts de notre rencontre.

- Mon père a levé la main sur moi... Deux fois, chuchote-t-elle, tremblante.

Je ne sais pas combien de temps, nous restons l'un contre l'autre, à tenter de se rassurer pour quelque chose, alors que l'on sait tous les deux qu'il est impossible à ce stade d'aller mieux.

Parce que l'espoir est mort depuis bien de trop longtemps pour pouvoir renaître.

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