Chapitre 34 - James

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Les mots défilent à la vitesse où mes yeux alarmés scannent la feuille qui se présente à moi. Et tout s'effondre. J'avais l'espoir que tout ceci n'était qu'un coup monté, que quelqu'un avait inventé pour que je sois soulagé de découvrir la réalité. Quelques mots et mon cœur brûle, sans que personne ne puisse en éteindre l'incendie.

Les meubles autour de moi deviennent tout à coup oppressants, le plafond semble se briser sous le poids d'un coup puissant. Mes genoux fléchissent, et mon corps se laisse tomber au sol, sans que je ne puisse faire un seul mouvement pour le retenir. La douleur de la chute me fait chavirer sur un autre bord, que j'aurai pensé inexistant.

Écrasé au sol, piétiné par de multiples éléphants, je comprends que la souffrance mentale est bien pire que celle physique. Dans ma tête, c'est le chaos. Les points d'interrogation sont remplacés par des points de phrases simples. Des visages souriants comme tristes s'y baladent, comme pour me dire de ne pas abandonner. Et comment pourrai-je ne pas flancher après avoir lu le papier officiel ?

<< Homicide involontaire. >>

Ce sont les deux mots qui sont placés au centre de mon cerveau, autour desquels tout divague. Une foule de sentiments contradictoires me traverse, me bouscule, et cette fois, j'y plonge au cœur. J'aurai voulu que mes parents n'aient pas pris le volant, ce soir-là. Égoïstement, j'aurai aussi voulu que ce soit deux autres personnes qui se seraient rentrées dedans. Mais aucun retour en arrière n'est possible, et aujourd'hui, la seule solution, c'est de me planter un masque sur le visage.

À peine sorti de ma torpeur, je réalise que la seule personne que j'ai réellement envie de voir est Emy. La seule à me comprendre, la seule à vivre avec les mêmes émotions que moi. Alors, sans vraiment y réfléchir, et sans savoir comment, je puise dans les dernières forces qu'il me reste pour me redresser, et quitter ma maison. L'espace d'une seconde, j'envisage de faire demi-tour et d'aller demander à Val' s'il a lu cette feuille de malheur, mais je me dis que ce serait mal placé.

Très vite, mes ongles rencontrent brusquement mes paumes de main, et mes yeux s'embuent. Qu'ai-je fait pour mériter tout ça ? J'ai besoin de cogner dans quelque chose, j'ai besoin de...

- James ? Ça va ?

La voix d'Emy me siffle dans les oreilles, et quand je la vois se rapprocher de moi, je n'ai pas d'autre choix que de la serrer contre mon torse, en me disant qu'elle est la seule chose qu'il me reste. Je lui vide ma tête, mon cœur, mes pensées, tout. N'importe qui m'aurait dit que j'aurai besoin de l'aide d'un professionnel, mais elle, non.

- Ouais, super, ironisé-je en roulant des yeux. J'ai le papier officiel qui dit que... mon père a vraiment tué ma mère.

- Je... merde, alors.

Elle, elle jure. Une envie irrépressible de rire me monte à la tête, mais elle s'étouffe bien rapidement lorsque ma douleur prend soudain une envergure physique. Mes iris produisent l'eau salée à laquelle je suis si habitué, et j'humidifie sans le vouloir les cheveux d'Emy.

Une fois calmé, je réfléchis quelques instants avant de m'exprimer à voix haute.

- Je suis désolé, Emy. Je te fais chier avec mon histoire de famille alors que la tienne est bien pire... m'excusé-je, en culpabilisant un peu face à ma pauvre réaction.

Elle se recule, et prend mon visage entre ses doigts. Mes pupilles glissent lentement vers ses belles lèvres, et j'en oublie presque le sujet de notre conversation.

- Tu ne m'embêtes jamais, James, ok ? Ne redis plus ça, parce que c'est terriblement faux. J'adore passer du temps avec toi, partager nos problèmes, nos sentiments. Tu sais, je suis réellement heureuse de te connaître, mais chaque personne est différente, chaque histoire aussi. Il n'y en a pas de plus ou moins pire, lance-t-elle, et à chaque fois, son souffle s'écrase sur mon visage.

Je hoche la tête, et lève les mains pour attraper ses poignets, et retirer ses doigts fins de mon visage. Visage qui se décompose lorsque je sens que la peau du poignet gauche d'Emy n'est pas lisse. Avant que je n'ai pu resserrer ma prise, elle m'échappe, effrayée. Ses mains tremblent, et elle est prise d'une panique que je ne saurais pas qualifier avec des mots.

- Emy, soufflé-je, tentant une quelconque approche, mais à chaque pas que je fais, elle en fait un en arrière.

- Excuse-moi, James... J'aurai dû t'en parler, je sais, murmure-t-elle.

Je souffle un bon coup, et inspire encore une fois, pour me calmer.

- Ce n'est pas grave, lui affirmé-je avec conviction.

Je ne cache pas surprise, quand elle se rapproche de moi, et pose mes doigts sur ses cicatrices. Sa peau froide, contraste avec la mienne, brûlante, presque fiévreuse, mais ce n'est pas ce qui me prend le plus les trippes. Ce sont les lignes bossues que je sens passer sous ma peau, des coupures qu'elle s'est elle-même infligées, comme si sa douleur pouvait s'écouler à l'extérieur de son corps par le sang.

Elle remonte un peu plus sa manche gauche, à l'aide de son autre main, et je devine qu'elle m'autorise à regarder toutes ses années de souffrance stockées dans son bras.

Des frissons me parcourent l'échine lorsque des droites blanches apparaissent sous mon nez. D'autres sont pleines de croûtes. D'autres rouges, parfaitement fraîches. Certains diront que c'est moche à voir, que c'est hideux, honteux, et qu'elle n'aurait jamais du faire ça. Mais comment aurait-elle pu se dégager de cette foutue douleur si elle ne l'avait pas fait ?

Bien que ses cicatrices meurtrissent sa peau de jour en jour, je ne peux m'empêcher de l'admirer, sans pour autant en connaître la raison.

Ses beaux yeux verts se fracassent dans l'herbe en dessous de nous.

- Tu sais... si je te dégoute, tu peux me le dire, dit-elle, presque en chuchotant.

- Je ne ressens aucun dégoût envers toi, Emy, soufflé-je. Vis avec. Parce qu'elles sont la preuve que tu es encore vivante.

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Je rappelle bien évidemment que la mutilation n'est pas une solution !

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