Chapitre 6 - James

50 9 76
                                    

Mon permis de visite dans la main, mon téléphone dans la poche, et les écouteurs dans les oreilles, je marche lentement vers la prison de la ville, pour aller voir mon père.

Avoir des réponses me démange, mais je sais qu'avec lui, je n'en aurais jamais, parce qu'il s'énerve à chaque fois, et me quitte toujours de la même façon.
Sans avoir eu de réponse.

Arrivé devant la prison, je prends mon courage à deux mains, et entre dans l'accueil.

- Bonjour, je viens pour une visite. James Yun, me présenté-je.

- Vos papiers et votre permis de visite, s'il vous plaît, me demande-t-elle.

Elle regarde ces derniers rapidement, vérifiant mon identité, et relève la tête vers moi, en me les rendant.

- L'agent à votre droite va s'occuper de vous. Vous pouvez y aller. Oh, et une dernière chose. Monsieur Yun a souhaité une cabine, ne soyez pas étonné.

Je hausse les sourcils. Ce sera la première fois que l'on n'aura pas de contacts physiques, alors. Je réprime un rire. La dernière fois, le seul contact que j'avais eu, c'était une gifle de sa part, en m'insultant de tous les noms.

- Suivez-moi, me dit l'agent, me sortant de mes pensées.

On me fait passer dans un détecteur à métaux, après avoir déposé les seules affaires personnelles que j'avais apportées, dans une corbeille.

Je m'assois dans la cabine, en attendant mon père, qui ne tarde pas à venir. Il pose brusquement ses fesses sur la chaise en face de moi, à travers la vitre qui nous sépare.

- Tu veux quoi ?

Bonjour à toi, papa. Je suis toujours ton fils, tu sais ?

- Ça va ? demandé-je, toujours la gorge aussi nouée, quand je me retrouve face à lui.

Sa main passe sur son front, et son visage change d'expression.

- Je suis désolé, je suis crevé. Ça va, toi ?

Et maintenant, je me rends compte des cernes autour de ses yeux, de ses rides creusées, de la maigreur de ses bras et de ses doigts.

- Oui.

Un silence plane entre nous, et malgré la gifle que j'ai reçu de sa main, il y a plusieurs mois de cela, je ressens encore sa culpabilité.

- Papa, ce n'est pas de ta faute. C'est moi qui me suis emporté. Ne t'inquiète pas pour moi.

Son regard se durcit, et ses yeux se plissent.

- Tu ne t'ennuies pas trop, ici ? Ça a l'air assez... mort, je dirais, dis-je, en riant doucement, pour essayer de détendre la tension.

- Non, il y a plein de choses à faire. On ne chôme pas, ici.

Un sourire naît sur ses lèvres sèches, et il reprend.

- Je lis beaucoup, en fait. Les livres sont assez intéressants. Parfois, on travaille pour la cuisine, le ménage, tout ça, quoi.

- Ouais, je vois, murmuré-je, et je ne suis même pas sûr qu'il m'ait entendu à travers l'interphone.

Aucune réponse ne me parvient, et j'en déduis que non.

- Je sais ce que tu ressens, James. Mais je ne veux pas que tu saches. Je ne veux pas que... non, laisse tomber.

Comme un éclair qui frapperait un arbre, la colère se déclenche en moi.

- Pourquoi ne peux-tu tout simplement pas me raconter ! Tu ne penses pas que j'aurai besoin de savoir pourquoi tu es ici ?! Personne ne m'a jamais rien dit, et tu es le seul, susceptible de m'apprendre cette putain de vérité ! Alors, dis-moi ! Rien ne t'en empêche, merde ! crié-je, soudainement à bout de nerfs.

- Je pense que tu ferais mieux de partir, James.

La veine dans son cou pulse rapidement, et je sais qu'il lutte de toutes ses forces, pour ne pas péter un cable.

- C'est ça, ouais. Et me laisser sans réponses ? Dans ce cas, dis-moi où est maman. Dis-le moi, putain ! Je sais que tu connais l'endroit où elle se trouve !

- Je suis désolé, me dit mon père, et il se lève, puis demande à son gardien de le ramener dans sa chambre.

- Putain ! Papa ! Tu peux pas me laisser comme ça ! À chaque fois, c'est toujours la même chose ! Mais dis-moi, c'est quoi ton putain de problème ! J'en peux plus moi... soufflé-je, en tentant de me calmer.

- Jeune homme, il est temps de rentrer chez vous. Votre tante doit vous attendre.

Ma tante.

- Ouais. Faîtes attention à mon père.

L'agent me sourit tristement, parce que je sais qu'il ne voit mon père que lorsque je lui rends visite. Ce n'est pas son métier.

- Ne vous inquiétez pas. Tout va bien, pour lui.

Ah oui ? Alors pourquoi est-il en prison ?

Je rentre encore seul, des questions plein la tête, l'esprit embrumé par les humeurs de mon père. Pourquoi ne veut-il rien me dire ? Quel est le problème avec ma mère ? Pourquoi a-t-elle disparu ? Est-elle vraiment morte ?

Je voudrais avoir des réponses, mais elles ne semblent pas vouloir venir à moi. Je soupire. Saurai-je un jour la vérité ?

Cela fait presque un an que je vis seul, dans le mensonge. Mon père est en prison, ma mère est probablement morte. La fausse tante qui me sert d'aide m'est bien utile ; sans cela, j'aurai été placé dans une maison d'accueil, à mon plus grand malheur.

Vivre avec des faux-parents, des faux frères et sœurs, une fausse famille ? Non, merci.

Et pourtant, je sais que je serais bien plus heureux avec une fausse famille, qu'avec celle devenue un fantôme, avec laquelle je vis.

Je m'écroule derrière la porte d'entrée, après l'avoir refermée. N'aurai-je jamais une vie stable, une vie parfaite que n'importe qui peut avoir ?

La musique qui se déverse en moi, ne parvient même pas à me calmer, quand la colère revient violemment. Mon poing rencontre le plan de travail de la cuisine, et j'ignore la douleur qui me traverse le bras. Mon cœur me fait bien plus de mal, qu'un simple coup physique.

- Putain !

Une chaise se renverse, un bol se casse, je claque une porte, m'affale sur mon lit.

La colère est ma pire ennemie.

Prends ma mainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant