Le démon aux traits d'enfant /2

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Elle relève les yeux pour le fusiller du regard. Navinn est un enfant capricieux. Elle a piétiné sa confiance, elle a profité de son amitié pour infiltrer sa Forteresse et pour l'espionner au profit des rebelles, elle sait qu'elle va le payer. Mais elle est prête à assumer les conséquences de sa trahison.

Le garçon l'a accueillie à bras ouverts quand elle est retournée vers lui six mois plus tôt, il était si content de la revoir vivante. Il ne savait pas qu'elle avait rencontré Solal entre temps, ni qu'elle s'était engagée chez les Briseurs. Encore moins que tous ses déplacements dans la Forteresse étaient calculés dans l'unique but de lui mettre le plus de bâtons dans les roues possible. Kia a décidé de se battre contre lui depuis le début, elle savait ce qu'elle risquait. Si elle doit avoir quelque chose à regretter avant de mourir, ce n'est que de s'être fait prendre si tôt —elle aurait encore pu être utile aux Briseurs en tant qu'espionne. Cependant, jamais elle ne s'excusera auprès du dictateur pour le mal qu'elle a pu lui faire. Jamais elle ne regrettera d'avoir trahi ce démon au profit des rebelles.

— C'est méchant, constate Navinn en tapotant son menton du bout du doigt, comme si ça ne lui faisait réellement ni chaud ni froid. Sauf que je ne pense pas qu'on puisse parler de trahison.

Il marque un temps pour préserver son effet, laissant Kia s'inquiéter.

— Ça ne marche pas, vu que j'étais au courant, finit-il par avouer.

La jeune fille en reste bouche bée. Ses muscles la lâchent d'un coup, c'est comme si le sol l'avalait. Alors il savait ? s'horrifie-t-elle. Depuis le début, tout ce qu'elle croyait faire dans son dos, il était au courant ?

Quelque chose en la jeune fille se brise subitement. Les espoirs qu'elle emmagasinait depuis des mois, les efforts qu'elle avait mis dans son combat, tout se dissipe en une poignée de secondes. Elle ferme les yeux, serre les mains sur sa poitrine. Elle s'est fait des films, quelle idiote ! Elle connaissait Navinn, pourtant. Comme aux échecs, c'est toujours lui qui a le dessus, se répète-t-elle. Tous les autres ne sont jamais que ses pions.

Kia se sent vide, humiliée, mais cette révélation a aussi le don de l'effrayer. S'il savait pour sa trahison, pourquoi l'a-il laissée aller et venir à sa guise dans la Forteresse, son si précieux quartier général ? Elle est entrée dans son jeu, cela n'augure rien de bon. Qu'est-ce qu'il a encore derrière la tête, ce petit démon ? s'inquiète-t-elle.

Impuissante, Kia finit par serrer les poings. Elle lève la tête, réduite à chercher sur le visage de son ennemi le moindre indice trahissant ses intentions. Mais il n'y a rien d'exploitable, il n'y aura jamais rien d'exploitable dans son attitude calculée. Ce garçon n'est décidément pas humain, s'effraie-t-elle.

— Oh, ça te surprend tant que ça ? s'amuse-t-il à remarquer, un grand sourire moqueur sur les lèvres. Cela m'étonne, tu n'étais pourtant pas très discrète.

Puis il fronce légèrement les sourcils afin de se donner un air contrarié.

— Et puis je te l'avais dit : je suis au courant de tout ce qu'il se passe entre mes murs, sans exception.

Oui, reconnaît-elle. Il lui a dit et elle a refusé de le prendre comme un avertissement.

— Alors pourquoi m'as-tu laissée faire ? chuchote Kia par dépit.

— Je voulais voir jusqu'où tu pouvais aller, répond l'enfant avec amusement, comme s' il ne s'agissait que d'un jeu insignifiant.

La traîtresse serre les poings, vexée par la simplicité de son ton. Elle doit se rendre à l'évidence : il est intouchable.

— Et tu m'as déçu ! conclut-il en reculant d'un saut. Je pensais que tu allais au moins quitter le bâtiment sans te faire attraper, tu ne devais pas être dans un bon jour...

Il hausse les épaules, presque chagriné. La jeune fille sent tomber le poids de la fatalité sur sa tête. Navinn a raison, elle n'est pas allée bien loin, se désole-t-elle. Mais s'il avait tout prévu, elle n'avait jamais eu la moindre chance de s'en sortir.

Le garçon se retourne vers ses deux subordonnés et les rejoint en dansant, les mains enfoncées dans le blouson qui lui sert de cape. Bientôt, c'est un pistolet qu'il tire d'une poche de son manteau, en s'arrêtant à distance raisonnable de Kia. L'enfant se retourne, laissant courir ses doigts sur la crosse de l'arme, tout en souriant espièglement à la jeune fille.

— Mais je suis gentil, je te laisse une deuxième chance, la rassure-t-il avec un clin d'œil. Cette fois, on va voir si tu arrives à t'enfuir sans te faire attraper.

Sur ces mots il s'écarte de quelques pas sur le côté, laissant la voie libre à Kia. Il baisse même la main vers la sortie, semblant lui tracer la voie. Méfiante, la jeune fille parcourt les traits angéliques de son visage un court instant pour tenter de le comprendre. La laisse-t-il réellement fuir ? s'étonne-t-elle.

Kia finit par se faire une raison : elle ne comprendra jamais ses motivations. Alors autant profiter de son offre, avant que cette petite girouette ne change d'avis et décide plutôt de lui tirer une balle dans la tête.

Aussitôt cette résolution prise, la jeune fille se lève d'un bon pour commencer à courir, filant entre les deux soldats et disparaissant dans les couloirs dont le plan est tout dessiné dans sa tête. Elle préparait sa fuite depuis un bon moment, tout est déjà calculé. Même si elle n'a pu voler la précieuse pièce comme c'était prévu, elle a l'occasion de voler sa liberté et compte bien s'en saisir, bien que cette dernière gardera longtemps un goût amer dans sa gorge.

— Un merci, c'est de trop ? marmonne quant à lui le garçon en la regardant fuir.

Il contemple sa silhouette agile disparaître au coin du couloir. Il soupire, las, mais un irréductible sourire ne peut s'empêcher de revenir à ses lèvres. Décidément, cette fille fait toujours ce qu'on attend d'elle ! s'amuse-t-il.

Navinn tourne ensuite la tête vers le garde posté à l'entrée de la cellule, juste à côté de Fermont. Cet homme est exemplaire. Fidèle à son poste, sans poser la moindre question sur la libération qui vient de s'opérer.

— Tu l'as laissée s'enfuir, lui reproche pourtant le jeune dictateur en roulant des épaules.

Et sans plus de cérémonie, il lui tire une balle en pleine tête.

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now