Chez les Briseurs /1

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La route jusqu'au quartier général a été longue. Tout comme Kia savait que Navinn avait envoyé des soldats pour la pister après son évasion, elle se doutait que ces derniers n'étaient pas retournés promptement à la Forteresse, comme elle le leur a demandé. À défaut de pouvoir aller vite avec le malade, elle s'est donc arrangée pour prendre des chemins détournés et est passée par la voie d'urgence —une voie souterraine surveillée visant à perdre les poursuivants. Une longue et fastidieuse route durant laquelle Kia a posé de multiples questions à la fratrie, tout en veillant à se tenir à l'écart de l'infecté, leur avouant après être sûre de leurs motivations qu'ils seraient sans doute séparés chez les Briseurs : les malades étant soignés dans un hangar à part. Cela ne les dérangeait pas du moment qu'ils atteignaient leur but, lui avaient-ils répondu, et la guerrière avait pu finir de s'assurer de leur détermination.

Puis ils sont arrivés à destination.

Kia n'a pas pleuré quand elle s'est présentée devant les portes de la base, établie dans une ancienne université désaffectée, après être sortie des tunnels. Elle n'a pas pleuré quand le vigile l'a chaleureusement accueillie, rassuré de la voir rentrer, ni quand Live a traversé tout le hall au pas de course en boitant pour sauter dans ses bras après l'avoir aperçue grâce aux caméras de surveillance. Aucune larme n'a non plus dévalé son visage quand tous ces fidèles Briseurs ont incliné la tête à son passage, heureux de la revoir en vie. Elle n'a pas pleuré quand elle a retrouvé son monde, tout ce qu'elle avait cru perdre à jamais dans la prison de Navinn. Mais quand apparaît Solal en personne pour l'accueillir, sa crinière châtain parcourue de fils d'or rejetée en arrière et ses sourcils froncés d'inquiétude, Kia est bien à deux doigts de craquer.

Sans rien dire, le jeune homme vient la prendre dans ses bras. Il n'a pas besoin de mots pour la rassurer, aucun ne saurait d'ailleurs être à la hauteur. Il l'enlace le temps de quelques instants, suffisants pour Kia à lui redonner la force de se battre. Solal a ce pouvoir sur elle, entre tant d'autres.

Quand son aimé la lâche, la jeune fille garde contre elle la chaleur de son étreinte. Quand il l'inspecte professionnellement du regard, évaluant si elle est en bon état physique tandis ses yeux demandent, eux, si tout va bien à l'intérieur, elle se sent enfin rentrée à la maison.

Kia pourrait fondre en larmes. Pas de tristesse —la tristesse qu'elle réprimait lui passe un moment— mais de soulagement. Elle ne le montre cependant pas, se contentant de se mettre courageusement au garde à vous.

— Excuse-moi de rentrer si tard.

Solal esquisse un sourire, pas assez détendu malgré tout pour cacher le fantôme de souci qui hante encore ses traits.

— En plus, je ne te rapporte aucune bonne nouvelle, poursuit piteusement Kia. J'ai échoué à ma mission.

Le jeune chef accepte son rapport d'un hochement de tête, bien qu'il se doutait déjà du résultat. Solal n'est pas naïf, il connaît assez son adversaire pour savoir que la mission de Kia était vouée à l'échec avant même de commencer.

— Tu es revenue entière, répond-il. C'est déjà beaucoup !

Le revoilà, ce chef toujours bon envers ses soldats. Mais sa bienveillance n'arrive pas à balayer les doutes qui persistent chez Kia.

— Entière... répète-t-elle à voix basse. À quel prix ?

— Je t'avais prévenu, répond-t-il sur le même ton. Tu n'aurais pas dû aller le voir.

Puis il s'éclaircit la voix et, en parfait meneur, passe à un sujet autrement plus important :

— Enfin, je vois que tu ne reviens pas toute seule.

Kia relève la tête. Oui, se rappelle-t-elle à l'ordre : elle a ramené la jeune Glaëlle et son frère. Elle serre un peu plus fort les poings, prête à essuyer les critiques liées à cet engagement soudain. Même avec sa position importante, Kia ne peut pas se permettre la liberté qu'elle a prise de convier ces deux individus étrangers à la base. Malgré toutes les précautions qu'elle a prises, son geste est si dangereux que ça tend à l'inconscience. Mais elle saura en assumer les conséquences.

Ces jumeaux ne représentent pas une menace, ayant même de quoi devenir de bons éléments au sein des Briseurs. La lieutenant a confiance en eux. Glaëlle semble détester foncièrement l'armée et, avec son frère contaminé, cela n'a rien d'étonnant. La rouquine a été assez courageuse pour porter assistance à une inconnue tout à l'heure, sans compter qu'elle sait particulièrement bien tirer au pistolet. Elle leur sera utile. Et puis elle avait l'air d'avoir besoin de compagnie, ce que Kia peut comprendre. Cet endroit va devenir sa nouvelle maison, cela ne fait aucun doute.

Par les temps qui courent, c'est bien-sûr impossible d'être sûr à cent pour cent de son honnêteté. Mais si la rouquine doit les trahir, elle ne le fera pas dans l'immédiat. Kia sait que plus les rangs des Briseurs se renforcent, plus le risque qu'ils soient trahis grandit. D'ici là, Glaëlle sera un bon atout pour eux.

Il ne faut pas non plus négliger son frère, Vrane. D'aucune utilité sur un champ de bataille dans son état, il reste cependant utile pour garder sa sœur en bride. Il dépend des Briseurs et donc, par extension, Glaëlle en dépend aussi. Les jumeaux font partie des milliards d'individus qui attendent un traitement contre l'infection et des quelques centaines qui vont pouvoir en profiter. Vrane va contribuer à son élaboration, un nouveau cas est toujours bon à prendre pour les études des médecins. Sans compter que Glaëlle pourra aussi leur apporter son aide, si l'intuition de Kia est bonne. Alors la guerrière a sciemment scellé leur sort. Soit ils intègrent leurs rangs, soit ils sont tués. Il ne leur reste que deux options maintenant qu'ils connaissent l'emplacement de la base.

Solal doit énumérer tous ces arguments dans sa tête durant les quelques secondes qu'il garde de silence. Sereine, Kia est confiante vis-à-vis du verdict, son chef n'est pas du genre à tuer quand il peut l'éviter.

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now