Première bataille /1

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La fumée de l'explosion monte bientôt jusqu'à la montagne. Une manche plaquée devant sa bouche pour filtrer l'air, Glaëlle tente tant bien que mal de poursuivre l'attaque, bien qu'elle ne voie plus grand-chose. Se refusant à tirer à l'aveugle, car elle risquerait de blesser plus gravement que prévu, elle met donc plus de temps à abattre ses cibles. Sans compter que les soldats se sont réorganisés, armés d'une discipline de fer. Pour se défendre, ils se sont mis à souffler leur propre fumée en direction de la montagne. Elle est trop proche, cela brouille encore plus la vue de la jeune fille.

Toussotant, Glaëlle se résout à rebrousser chemin. Elle aurait aimé en faire plus, mais elle doit se montrer raisonnable. Elle n'arrivera à rien dans ces conditions. S'orientant comme elle peut entre les gros troncs et la fumée dense, elle tente de rejoindre Isaac. Mais bien vite, elle se rend compte que l'ambiance a changé dans les sous-bois. Les coups de feu persévèrent malgré la fumée, bien que les plus gros calibres se soient tus. Les balles fusent plus près des oreilles de la jeune fille qu'à l'aller. Se seraient-ils mis à tirer au hasard ? s'effraie-t-elle dans son avancée.

Son cœur s'emballe. Son T-shirt voyant ne suffirait-il plus à la protéger ? Anxieuse, Glaëlle accélère sa course. Mais dans la précipitation, elle butte sur une racine et s'étale de tout son long au sol. Pour ne rien arranger, une motte de terre lâchée par les branches s'écrase sur elle, l'ensevelissant pour de bon. La jeune fille s'étouffe, autant à cause de la terre que de l'angoisse. Les cris qu'elle entend, pourquoi sont-ils plus proches que tout à l'heure ? angoisse-t-elle. Pourquoi ne viennent-ils plus de la forteresse ?

Effrayée, la rouquine se débat dans les feuilles et la poussière pour tenter de se relever. Mais au dernier moment, un pied apparaît dans son champ de vision et vient s'écraser juste à côté de sa tête. Elle doit plaquer ses mains pleines de terre sur sa bouche pour se retenir de crier. S'accommodant au mauvais goût qui souille ses lèvres, elle lève les yeux sur la silhouette imposante qui se tient juste à côté. Elle sent son souffle se couper quand elle reconnaît les couleurs de sa combinaison :
ce sont celles de l'armée du dictateur !

L'homme a la respiration rauque. Son odeur dérange les narines de la jeune fille plaquée au sol. Si la terre ne l'empêchait pas de respirer, elle éternuerait. Pourtant, elle fait son possible pour cacher sa présence. L'homme avance de quelques pas et dévoile une lame pendant à sa main. Une lame couverte d'une substance sombre qui goutte au sol, dont quelques jets éclaboussent Glaëlle au passage.

À nouveau, la jeune fille doit se retenir de crier d'horreur. Il n'y a pas de doute possible : c'est du sang. Elle manque de vomir. Elle doit se concentrer tout entière à rassembler ses forces.

Que lui reprochait Ange tout à l'heure ? s'efforce-t-elle à réfléchir. Exposer ses flancs, son dos ? Elle va avoir besoin de ses conseils pour se battre !

Heureusement, le soldat ne la remarque pas et passe son chemin. Il manque de l'écraser par deux fois puis s'enfonce dans la forêt. Une fois sûre qu'il est loin, la jeune fille se relève. La respiration haletante, elle barbouille son T-shirt de terre, attrape son pistolet qu'elle a laissé tomber et le serre contre elle avant de souffler un bon coup.

Pourquoi s'est-elle fourrée là-dedans ? Elle ne le sait plus. Comment s'en sortir ? Elle n'y pense plus. Il fait sombre, trop sombre pour voir la mort. Elle n'a plus peur. Elle veut sauver ses amis, c'est tout dont elle se souvient.


Kia panique. Elle ne veut pas s'être trompée ! La trahison de Navinn serait assez pour l'achever.

Elle tourne sur elle-même, cherchant dans la salle une quelconque porte de sortie. Peine perdue, la pièce est fermée hermétiquement. Par défaut, elle repère une sorte de verrière tout en haut d'un mur. Les reflets des vitres empêchent de voir à l'intérieur, mais la jeune fille est certaine que c'est là que se cache le dictateur.

— Quel spectacle ? crie-t-elle dans sa direction.

Ce n'est qu'un rire qui lui répond. Un rire à cœur ouvert, qui résonne dans toute la salle et qui emplit toute la tête de Kia.

— L'assemblage, dévoile l'enfant du haut de son perchoir. C'est bien pour ça que tu es venue, pas vrai ?

La jeune fille serre fermement les poings.

— Non ! Nous t'en empêcherons ! crie-t-elle de toutes ses forces.

Même si elle sait qu'elles n'ont aucune chance.

— À vous deux ? se moque le garçon. Je te l'accorde, vous pouvez être embêtantes quand vous vous y mettez. Mais tu crois pouvoir faire quelque chose contre moi ?

Il marque une pause pour s'éclaircir la voix, laissant Kia bouillir de rage.

— Et puis tu sais, tu n'aurais pas dû semer ton escorte en venant, fait-il remarquer d'un ton égal, assez condescendant cependant pour agir comme une menace. Maintenant, vous êtes toutes seules, et je n'ai plus qu'à aller cueillir les autres !

— Ne leur fait pas de mal !

Les larmes montent aux yeux de Kia. Elle tient trop à ces filles, elle ne supporterait pas qu'il leur fasse du mal. Elle est prête à se mettre à genoux pour qu'il les épargne.

— Faudrait savoir ! s'amuse le garçon. Tu me menaces ou tu me supplies ? Tu es trop indécise ! Décide toi, qu'est-ce que je dois faire ?

La jeune fille serre plus fort les poings, baissant les yeux d'impuissance. Elle ne se laissera pas avoir par ses provocations. Sa fierté ne vaut rien, elle refuse que ses amies se fassent tuer à cause d'elle.

— S'il te plaît... Navinn... articule-t-elle difficilement. C'est moi que tu veux, alors laisse-les partir.

Elle baisse la tête, rangeant sa fierté de côté pour se mettre au sol. Peu importe sa dignité si elle peut les sauver. Et puis Navinn est une des personnes devant lesquelles elle n'a pas honte de s'incliner.

Le silence s'installe dans la salle, le dictateur réfléchit.

— D'accord, finit-il par accepter.

Kia relève soudainement la tête, les yeux brillants de larmes et d'espoir. A-t-elle bien entendu ? Laissera-t-il vraiment ses amies repartir ?

— Mais toi, tu restes avec moi ! exige-t-il pour rompre la magie de l'instant, un sourire ravi s'étendant jusque dans sa voix. J'accepte aussi Ombre, si ça peut te faire plaisir. N'y retournez pas. Les Briseurs vont devenir dangereux, il vaut mieux que vous les quittiez. Et puis de toute façon...

La jeune fille sent ses membres fondre un à un. Des frissons lui montent dans la gorge tandis qu'elle prend la mesure de ses paroles. Comment ça... dangereux ?

— ... ils ne sont pas prêts de venir vous chercher !

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now