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Sa décision est prise, elle est irrévocable. C'est la meilleure chose à faire, Kia en est convaincue.

La lumière de la lune filtre à travers les rideaux fins de la chambre de Navinn. La nuit est paisible, tout comme la respiration du petit corps du dictateur étendu dans son lit. Kia est resté dormir ce soir encore. Cela plaît au garçon et cette nuit, la jeune fille compte bien profiter de ce moment pour mettre son plan à exécution.

Kia se lève, se masse la nuque et sort précautionneusement de son lit improvisé. Il lui a été difficile de jouer la comédie et de ne pas s'endormir, elle était fatiguée, d'autant plus que Navinn mettait du temps à trouver le sommeil. Il a encore discuté de tout et de rien, ils ont encore ri. Mais elle a attendu assez longtemps et la terreur s'est enfin endormie.

Kia s'approche silencieusement de son lit. Elle contourne les meubles pour se placer près de lui, contemple son profil lumineux aux traits détendus par le sommeil.

Navinn laisse toujours les volets de sa chambre ouverts, la nuit, c'est pour qu'il puisse se réveiller dès le lever du jour. La lumière de la lune en profite pour jouer avec ses traits délicats durant son sommeil. Il lui rappelle le garçon d'antan dans cette position. Il est loin, le temps ou ils dormaient encore ensemble, regrette-t-elle dans un soupir.

Navinn aborde le même air vulnérable, cette même faiblesse qu'ont tous les enfants quand ils dorment. C'est normal, l'apparence ne tient pas compte des pensées. Un an n'aura pas suffit à Navinn pour grandir physiquement. En revanche, un an aura fait basculer leur vie.

Kia ne doit plus ignorer cette terrible vérité, elle ne doit plus se raccrocher au passé. Le temps où elle soutenait Navinn est révolu, elle a fait son deuil. En tant que grande sœur, que seule personne qu'il reste sur Terre à vouloir lui pardonner, elle doit le sortir de sa bêtise. Elle va l'arrêter.

La jeune fille lève la tête et jette un regard à la ronde. Rien n'a changé, ils sont toujours seuls. Elle lui a demandé de n'impliquer aucun innocent dans leurs échanges et il a respecté sa requête. Même pour passer la nuit, il n'a convoqué aucun domestique. C'était dangereux, Navinn, songe Kia en fronçant les sourcils. Quelle ironie du sort. La seule fois où tu te montres gentil, tu vas être puni.

Elle inspire profondément. Tu l'as cherché, lui reproche-t-elle. Aux pires fautes, les pires punitions.

La jeune fille s'approche tout doucement du corps allongé, portant une main dans sa poche pour caresser l'embout de la seringue cachée dans son pantalon. De ses doigts tremblants, elle effleure les cheveux du jeune dictateur pour dévoiler sa nuque délicate, à l'ombre de la lune.

Kia ne se leurre pas. Elle ne sait pas utiliser correctement une seringue et si elle veut avoir la moindre chance qu'il reste endormi, elle va devoir s'en mettre sur les doigts. Mais peu importe, la jeune fille veut prendre le risque. Elle aussi doit payer pour ses erreurs. Ce qui l'attend est une bien douce punition pour avoir tué à force d'hésiter. Sa seule vraie torture, c'est de ne pas savoir si son plan va réellement marcher. Pourvu que Navinn n'en soit pas un, prie-t-elle.

Kia place l'embout de la seringue sur la nuque du garçon, doutant encore. Haut les coeurs, se décide-t-elle. De toute façon, plus personne ne peut se baser sur des certitudes, maintenant. Ce n'est pas avec des hypothèses qu'elle va pouvoir avancer. Il faut qu'elle agisse. Alors elle inspire un bon coup, et pousse le piston.

Elle attend que tout s'écoule. Ça lui semble interminable autant que trop rapide. La dose est si petite.

Peu à peu, la seringue se vide. La trahison se répand sur la nuque de l'enfant.

Son œuvre faite, Kia recule. Elle inspire profondément en apercevant l'état de sa main, angoissée. Mais elle sait qu'elle a fait ce qu'elle avait à faire. Il ne lui reste plus qu'à espérer que son sacrifice ne soit pas vain.

Elle délaisse le corps allongé pour filer. Pourvu que ça prenne... c'est sa dernière prière quand elle quitte la forteresse, la main entortillée dans un bout de tissu qu'elle avait pris dans ses affaires. Elle défile sous les regards prudents des soldats de Navinn, qui se doutent bien que quelque chose cloche mais qui n'osent pas agir sans ordre de leur chef.

Tant qu'il dort, Navinn la protège encore, il ne peut pas donner l'ordre de la tuer. Kia en profite. Malheureux sont les amis, dans ce monde sans pitié.


Ne pleure pas, Navinn, l'a-t-elle un jour rassuré. Je vais juste désinfecter la plaie. C'est un mal pour un bien, tu n'auras plus mal après.


Un mal pour un bien, se répète la jeune fille, louant sa bonne étoile que le dictateur ne se soit rendu compte de rien. Elle a tant hésité : elle ne pouvait pas se résoudre à le tuer. L'injection n'est qu'une solution temporaire pour l'empêcher d'utiliser sa machine, il n'est pas condamné à mourir. Ils trouveront une solution, bientôt, et Navinn devra chercher avec eux.
C'est juste ça, se convainc Kia. Rien qu'un mal pour un bien.


Et loin derrière elle, dans la nuit, repose un petit corps allongé seul dans son lit. Lui qui n'a plus de famille, plus d'amis. Un garçon qui arpente un chemin pavé de morts et de trahisons, ne demandant plus qu'à accomplir son but avant de devoir s'arrêter.

Lui qui réouvre peu à peu les yeux, lui qui n'a jamais vraiment dormi de la nuit.

Lui qui ne cherche plus à se défendre. Parce que bientôt, tout sera fini.

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now