La voix de la raison /2

54 16 40
                                    

— Non, je ne fais pas de favoritisme, s'indigne Solal. C'est juste que Kia a une relation importante avec Navinn. Si n'importe lequel d'entre vous était dans sa situation, je lui accorderais les mêmes droits sans hésiter !

— Tu en es sûr ?

Eh bien... non, reconnaît Solal pour lui-même. Navinn éveille en lui un tel sentiment de haine qu'il n'est pas certain de pouvoir accorder cette liberté à quelqu'un d'autre que Kia. Mais il ne compte pas l'avouer.

— Cette fille te monte à la tête, argue encore Ange, utilisant son hésitation pour appuyer ses propos. Tu la laisses prendre trop de libertés. Elle se revendique comme étant l'amie de Navinn, je te rappelle ! Comment peux-tu la laisser aller et venir dans la Forteresse sans douter d'elle ? Et comment la laisses-tu recruter des gens du jour au lendemain sans ne rien trouver à y redire ? Je ne veux pas l'accuser de traîtrise, mais avoue qu'on peut tout de même se poser quelques questions.

Solal ouvre la bouche pour contre-attaquer, sans trouver quoi répondre. Sourcils froncés, à court d'arguments, il détourne furieusement le regard. Il ne veut pas le reconnaître, mais Ange a raison. Et le plus grave, c'est qu'il s'obstine à garder confiance en Kia au lieu de s'en méfier. Il veut que rien n'ait à mettre en question sa relation avec elle, ce qui est sans doute le plus dangereux. À la réflexion, elle lui monte peut-être vraiment à la tête...

— Je ne sais pas quoi penser de l'amour, concède finalement Ange. Mais souvent, ça fait faire des choses stupides. Ne te perds pas là-dedans, Solal.

Décidément, il sera toujours aussi peu sensible, celui-là, songe le jeune chef avec un rictus. C'est à se demander si son cœur n'est pas réellement en pierre. Malheureusement, celui de Solal ne l'est pas, alors il doit faire attention.

Se ressaisissant, le jeune homme croise les bras derrière son crâne et passe devant Ange. Il pensera à ses paroles plus tard, comme il le fait toujours. Il ne doit cependant pas le faire devant lui, un chef ne doit pas se laisser aller au doute devant qui que ce soit.

Solal a des centaines de vies entre les mains. Des millions, des milliards, même, si on compte tous ceux qu'il compte bien sauver de la maladie. Et il a un ennemi diabolique à abattre. Douter n'est pas envisageable.

— Elle ne sera pas punie, décide-t-il, la voix assez ferme pour qu'on ne puisse pas contester sa décision. Concernant les nouvelles recrues, nous soignerons le garçon avec les autres. Je te laisse tester la fille toi-même vu que tu doutes d'elle, tu l'évalueras et tu la placeras dans l'équipe qui convient. Je dois voir Live et Tommy pour la prochaine mission, j'attendrai ton rapport.

Le jeune homme aux cheveux blancs fait claquer ses talons, s'inclinant respectueusement dans le dos de son chef.

— À tes ordres, Solal.

☽☼☾

Cette jeune fille est faible. Des traits émaciés de son visage, de ses boucles rousses emmêlées qui lui couvrent le front et dévalent sa frêle silhouette jusqu'à ses bras maigres et tremblants, elle n'a franchement rien d'impressionnant. Kia a eu de la chance de tomber sur une immunisée, ça compense sa décision stupide de l'engager malgré son état. Mais Ange compte tout de même bien prouver qu'elle a eu tort.

Cette nouvelle recrue est une fillette. Une fillette qui ne tombe pas malade et qui a réussi à rester en vie jusque-là, peut-être, mais qu'une fillette. Comment pourrait-elle se rendre utile ?

— Solal m'a demandé de te tester, expose-t-il à la rouquine recroquevillée sur son lit d'hôpital.

Glaëlle lève des yeux curieux vers lui. Imperturbable, Ange poursuit son explication :

— Je vais commencer par évaluer ton niveau au tir. D'après Kia, tu es douée. Je vais m'en faire ma propre idée.

Son ton lourd d'exigences suffit à braquer la jeune fille. Ange le remarque sans s'en navrer. Peu importe, il n'a jamais pris de gants avec personne, cette fille n'a pas besoin de faire exception. La nouvelle fronce les sourcils puis se relève, s'appuyant sur ses bras graciles pour sortir du lit. Elle se dresse face au jeune homme au visage impénétrable et déclare dignement, une lueur de défit dans les yeux :

— Donne moi un pistolet et une cible, tu verras comment je sais tirer !

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now