La nouvelle /2

58 15 28
                                    

L'entraînement s'éternise. Deux heures qu'Ange tente de lui inculquer un minimum de technique et deux heures que Glaëlle s'acharne à attaquer sans réfléchir. Le lieutenant aux cheveux blancs n'est pas doué pour donner des cours, surtout à une jeune fille aussi têtue. Il sait qu'il ne peut s'en prendre qu'à lui-même : c'est lui qui s'est proposé à Solal pour la former. Mais à force, même sa patience hors pair commence à s'épuiser.

— Attention à ton flanc, soupire le jeune homme en y envoyant son pied, projetant une énième fois son adversaire à terre.

Il ne faut décidément pas qu'elle se batte au corps à corps, celle-là, rumine-t-il. Du moins pas contre un soldat avec un tant soit peu d'entraînement. Sinon, il ne donne pas cher de sa peau. Or ce serait dommage de gâcher une immunisée.

— Relève-toi, commande le combattant en la voyant rester au sol.

— Je... suis... crevée... admet-elle avec difficultés, la respiration hachée.

Ses joues sont rouges et son front ruisselle de sueur.

— Tu manques d'endurance, assène froidement Ange. Il te faut plus d'entraînement. Je ne veux pas avoir de mort sur la conscience. Si tu ne t'appliques pas plus, nous ne t'emmènerons pas ce soir.

La jeune fille puise dans sa menace la force de se relever.

— Non ! Je viens ! s'obstine-t-elle.

Le jeune homme penche la tête sur le côté. Elle s'enfonce encore dans sa bêtise, mais au moins, elle est décidée, doit-il reconnaître.

— Dans ton état, tu as toutes les chances de te faire tuer, dit-il plus sévèrement.

Glaëlle secoue la tête.

— Peu importe, siffle-t-elle. Si je dois mourir, autant que ce soit en me battant !

Sur ses mots, elle se jette à nouveau sur son adversaire, poings levés droit vers son visage. Ange roule des épaules, attrape ses bras tendus au niveau de ses poignets et se sert de son élan pour la propulser en l'air. La jeune fille s'écrase au sol dans un bruit sourd, glissant sur près d'un mètre tandis que son adversaire se frotte soucieusement les mains.

— C'est stupide, observe-t-il. Si tu n'as pas tes chances, ça ne sert à rien de te ruer au carnage. Vous êtes bien pressés, vous tous...

Au sol, lessivée, la jeune fille trouve tout de même encore la force de serrer les poings.

— Depuis un mois, chaque jour peut être le dernier pour mon frère, fulmine-t-elle, la mâchoire cognant contre le sol à chacune de ses articulations. Chaque seconde est de trop, chaque nuit est comme la mort. Alors ne compte pas sur moi pour attendre !

Ange soupire. Il attrape son poignet endoloris et le fait tourner dans sa main, s'appliquant à l'étirer tandis qu'il réfléchit.

Cette fille est vraiment une cause perdue, se désole-t-il. Voilà à peine quelques heures qu'il la connaît et il la trouve déjà insupportable. Pourquoi les Briseurs doivent-ils tous être aussi stupides ?

— Je demanderai à Isaac de te garder près de lui, finit-il par céder. Tu t'occuperas de le défendre sans attaquer. Comme ça, tu devrais éviter de te faire tuer dès la première bataille.


Glaëlle soupire, poussant à l'aide de ses dernières forces sur ses bras pour se remettre à genoux. Elle regarde Ange s'éloigner, gagnant un coin du gymnase particulièrement peuplé, puis le perd de vue. Elle se mord la lèvre, les épaules vacillantes. De tout façon, elle se fiche bien de ce qu'il peut faire. Éreintée, la jeune fille ne cherche plus à réfléchir. Elle lève les yeux au ciel, un peu inquiète de voir sa vision se brouiller. Puis elle ferme les paupières, se sentant partir... et étant réveillée par un grognement excédé.

— Ce n'est pas un endroit pour dormir, sermonne Ange. Tu vas gêner ceux qui s'entraînent.

Glaëlle rabaisse la tête et se force à ouvrir les yeux.
Le jeune homme aux cheveux blancs est revenu, un air blasé sur le visage et un bol de riz et de viande fumante à la main.

— Relève-toi, ordonne-t-il.

La jeune fille le regarde avec impuissance. Las, Ange finit par lui tendre la main. Elle s'en saisit et il la remet sur pieds, puis il entreprend de la raccompagner jusqu'à l'infirmerie. À moitié effondrée sur lui, la rouquine se doute de la mauvaise image qu'elle doit lui offrir. Mais il lui a donné son accord : malgré tout, elle part à l'attaque dans la soirée. Elle s'est bien entraînée, se rassure-t-elle. Maintenant, elle peut se reposer.

Ange l'allonge sur un lit vacant entre des rideaux d'un blanc délavé, puis lui tend son repas de mauvaise grâce. Glaëlle s'en empare et commence à manger sans même penser à le remercier, trop contente d'être enfin nourrie. D'autant plus que le repas est tout à fait délicieux.

— Reprend des forces, exige le stratège. Et tâche de ne pas nous gêner tout à l'heure.

Puis il la laisse, filant aux derniers préparatifs de la bataille. Glaëlle finit goulûment son repas avant de s'effondrer de fatigue.

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now