Panser ses plaies /2

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— Tu me sembles songeuse, remarque doucement Solal.

Kia baisse les yeux, elle hoche le menton à valeur d'aveux. Depuis sa rencontre avec Navinn la veille, la jeune fille est distante. Là, dans son bureau, à la tombée de la nuit, elle semble pourtant tout ailleurs.

— Je ne vais pas te demander de me répéter ce qu'il t'a dit, promet Solal en posant sa main sur la joue de son aimée. Si tu veux le garder pour toi, fais-le. Mais s'il te plaît, dis-moi ce que je dois faire pour te rendre le sourire.

Il caresse sa lèvre du pouce. Réconfortée par sa douceur, Kia soupire et lève les yeux vers le visage de son amant. Elle le regarde un moment, partagée entre l'envie de tout lui raconter et celle de rester à le contempler, muette pour l'éternité. Pour oublier ses doutes, elle parcourt des yeux les traits de son visage, comme elle l'a toujours fait. Son cœur bat dans sa poitrine, elle sent son sang parcourir ses veines. Regarder Solal, c'est comme sortir d'un long sommeil. Elle file loin des cauchemars, il la réveille. Il est là pour elle, cela lui ferait presque oublier Navinn.

— Tu te demandes parfois si ta cause est juste ? demande-t-elle dans un murmure.

Les sourcils de Solal se froncent un peu. Il s'éloigne de quelques centimètres pour pouvoir regarder le visage de Kia en entier, cherchant à comprendre sa question, ainsi que tous les mots silencieux cachés derrière.

Il finit par sourire doucement, décolle son pouce de sa lèvre pour jouer avec sa mèche multicolore tout en répondant pensivement :

— Non, je ne doute jamais de mon objectif. C'est vrai que je me demande souvent si je prends le bon chemin, mais je suis toujours certain du but que je poursuis.

— Donc tu doutes quand même ? insiste Kia.

Ses yeux brillent de curiosité, cela semble important pour elle. Si Solal ne voit pas où peut le mener toutes ces confessions, il s'applique tout de même à lui répondre :

— Constamment, soupire-t-il. Il ne passe pas un jour sans que je ne doute de mes actes. Jamais je ne sais si je dis les bons mots au bon moment, si je ne précipite pas des milliers de gens vers la mort à cause d'une mauvaise décision. C'est difficile de savoir quel chemin emprunter, d'autant plus quand tant de vies sont engagées avec moi. Enfin, je suppose que c'est le lot de n'importe quel chef...

Le jeune homme lâche la mèche de Kia pour poser sa main sur le canapé. Assise en face de lui, elle le regarde silencieusement. Le menton levé vers le plafond, soutenu par ses bras, il semble revoir défiler devant ses yeux toutes les décisions qu'il a prises, et qu'il va encore devoir prendre.

Kia le comprend. C'est le fardeau de chaque être humain de décider, et c'est d'autant plus difficile quand ce choix ne concerne pas que soi-même. Seulement...

— Alors pourquoi Navinn n'hésite-t-il jamais ?

La jeune fille surprend sa voix à trembler. Ses mots ne formulent plus seulement une question, c'est une supplication qu'elle adresse à Solal. Elle l'implore de lui expliquer pourquoi son jeune ami est toujours aussi sûr de lui, pourquoi ressemble-t-il si peu aux autres êtres humains.

Solal rabaisse les yeux sur la jeune fille, une expression de soucis habitant ses traits doux. Son coeur sera toujours tourmenté par ce gosse, pas vrai ? songe-t-il tristement.

L'aimée du jeune chef ne trouve pas de repos. Plus Kia tente de quitter Navinn, plus elle s'y accroche. L'un ne semble pas aller sans l'autre. Elle souffre de cette division qui s'opère en elle entre le passé et le présent, entre l'amour et la raison, et Solal comprend qu'elle ne s'en sortira jamais si elle s'obstine à ruminer au lieu d'agir. Il a mal pour elle. L'ennemi public, l'homme à abattre, le pire monstre que puisse porter la Terre, c'est son ami d'enfance. Elle ne peut pas le condamner sans réfléchir, est incapable de lui vouer gratuitement de la haine, comme eux tous. Il est le seul être qu'il lui reste de son passé doré, celui qui comptait le plus à ses yeux. Navinn est une colonne pour Kia, un monument du passé. Même Solal ne saurait quoi faire à sa place.

Alors il doit se montrer patient. Bienveillant, comme toujours. Il soupire donc et prend sur lui pour faire sa proposition, sans pouvoir se défaire de l'ombre qui plane encore dans un coin de son esprit. Ce soupçon de doute, cet égoïsme qui aimerait garder sa moitié rien que pour lui. Est-ce la bonne décision, de la laisser partir ?

— Kia, appelle-t-il en prenant soigneusement la tête de la jeune fille entre ses mains pour mêler son regard au sien. Retourne le voir autant de fois que tu veux. Mais ne reste pas dans cet état, s'il te plaît.

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now