Une main secourable /2

62 17 49
                                    

La rouquine s'éloigne de son alliée, chamboulée par le spectacle auquel elle vient d'assister. Habile au tir, Glaëlle s'est toujours arrangée pour ne faire que blesser ses adversaires, des exécutions si froides ont donc de quoi lui retourner l'estomac.

— C'était... de leur faute, chuchote la guerrière, la voix brisée.

Et la rouquine prend conscience que ces exécutions n'étaient peut-être pas si froides qu'il n'y paraît.

L'étrangère se relève, contemplant un instant sa main tremblante, puis serre fermement le poing avant de lancer à ses trois alliés :

— Merci pour votre aide.

Les soldats de l'armée se regroupent tandis qu'elle se tourne vers eux.

— Mais vous serez priés de retourner d'où vous venez, et de dire à votre chef que je me passe bien d'une escorte pour rentrer chez moi.

Sa voix couve une colère à peine dissimulée. Les trois hommes hochent la tête de concert et s'enfuient, ne cherchant pas à discuter. Glaëlle ravale sa salive, elle n'aimerait pas se retrouver à leur place. Des questions lui viennent en tête mais elle n'a même pas le courage de les poser.

L'étrangère les regarde filer puis laisse échapper un long soupir.

— Comme si vous alliez me laisser tranquille... murmure-t-elle pour elle-même.

Elle hausse les épaules puis se retourne vers Glaëlle, la faisant bondir de surprise. Aussitôt, elle tend une main en avant en signe d'apaisement.

— Du calme, je ne vais rien te faire, la rassure-t-elle d'une voix étonnamment douce. Promis, je ne suis pas méchante.

Glaëlle lève la tête en direction des trois soldats.

— Je ne suis pas avec eux non plus, poursuit-elle d'un ton désolé.

Se fiant à la manière dont elle les a congédiés, la rouquine veut bien la croire. Elle ne les aime pas, comprend-elle. Craignant l'armée plus que quiconque, cette confidence la rassure donc quelque peu. Baissant les yeux sur la tenue brune de l'étrangère sous laquelle se dessinent ses muscles saillants, elle se rappelle cependant de ne pas s'endormir sur ses lauriers.

— Tu te bats bien, la complimente prudemment Glaëlle.

Un sourire se dessine au coin des lèvres de l'autre.

— Il faut bien, fait-elle en haussant les épaules. Mais je dois dire que toi aussi, tu te bats bien.

La rouquine relève la tête, prenant sa réponse comme un agréable compliment. Si cette fille sait se battre, elle sait aussi rendre sa présence importante pour les gens.

— Moi c'est Kia, se présente-t-elle d'un mouvement du menton. Merci de m'avoir sauvée.

— Et moi, Glaëlle, renchérit la rouquine en se tordant les mains, soudain prise de timidité. Et puis c'est rien, tu sais...

La dénommée Kia hoche la tête, amusée. Elle reprend le pistolet du voleur en main, ouvre son barillet pour l'observer puis le referme et passe l'arme à sa ceinture. Elle semble s'y connaître et être prête à repartir, mais Glaëlle craint que malgré sa force, elle risque encore de se retrouver en mauvaise posture.

— Tu ne devrais pas rester seule, ne peut-elle s'empêcher de lui conseiller.

Kia perd son sourire, raidissant sensiblement sa posture.

— C'est que... je ne suis pas seule d'habitude, admet-elle à voix basse.

L'intuition de Glaëlle ne l'a donc pas trompée. Cette fille rayonne trop pour vivre seule, elle appartient à un groupe. Mais alors que fait-elle là ? se demande-t-elle.

— Tu les as perdus ?

— C'est plutôt moi qui me suis perdue... mais je vais les rejoindre.

Sa voix se fait distante. Elle donne l'impression de s'éloigner, comme si elle regardait quelque chose de trop lointain pour Glaëlle. Vrane a quelque fois cette expression quand il souffre, c'est peut-être pour ça —ou bien est-ce juste parce qu'elle a besoin de passer du temps avec quelqu'un d'autre— que la rouquine propose alors :

— Tu veux rester avec moi en attendant ?

Elle se mord les lèvres aussitôt ces mots prononcés, puis tente de se faire une raison. Il n'y a pas à avoir peur, elle ne craint rien. Elle n'a rien à perdre à se faire trahir étant donné qu'elle n'a déjà plus rien. Glaëlle a bien le droit d'accorder un peu de sa confiance à une inconnue pour une fois, cela ne pourra que lui être bénéfique.

— C'est gentil, approuve Kia avec un sourire bienveillant. Mais je pense que je vais réussir à me débrouiller seule. Ces hommes vont encore me suivre et je ne crois pas que tu veuilles être mêlée à mes affaires.

Glaëlle fronce les sourcils, se vexant de sa remarque.

— Des affaires, il n'y en a pas de plus dangereuses que d'autres, par ici, rétorque-t-elle dignement. Peu importe sur quoi tu peux tomber, tu auras plus de chance de t'en sortir avec moi que toute seule, pas vrai ?

Sa logique est implacable, elle en est convaincue. Elle digère mal le fait que cette inconnue la prenne de haut.

— Pour tout te dire, je compte rejoindre les Briseurs, poursuit-elle, sans plus songer à se cacher. Alors ce ne sont pas quelques-unes de tes affaires qui vont m'effrayer.

L'étrangère ouvre grand les yeux, stupéfaite.

— Les Briseurs ? répète-t-elle.

Glaëlle fait la grimace.

— C'est ça, confirme-t-elle, elle-même consciente de la démesure de son objectif.

Mais à son grand étonnement, loin de se laisser aller à la moquerie, Kia esquisse un large sourire.

— En fait, c'est aussi chez eux que je me rends.

C'est au tour de Glaëlle d'écarquiller les yeux de surprise. Le sol s'ouvre sous ses pieds, le ciel lui tombe sur les épaules, la chaleur lui monte à la tête. Elle n'ose pas croire en une telle chance.

— Vraiment !

C'est donc pour cela qu'elle est suivie par des membres de l'armée et qu'elle semble si forte ! réalise la rouquine. Cette aura solaire ne trompe pas, ne donnant que plus envie à la rouquine d'intégrer les rangs des rebelles.

Kia confirme d'un hochement de tête engageant avant de froncer les sourcils, la quittant du regard pour réfléchir un instant.

— Tu es courageuse et tu sais tirer, tu peux nous être utile... songe-t-elle à voix haute. Seulement, notre quotidien est très dangereux. J'ai peur que tu ne tiennes pas le rythme, tu devrais...

— Pour qui me prends-tu ? s'offusque Glaëlle, oubliant momentanément que la jeune fille en face d'elle représentant son seul espoir de gagner les Briseurs pourrait tout à fait se vexer et la planter là. Je me doute bien que ce sera difficile ! Mais je n'ai plus rien à perdre, alors je veux me battre pour les autres. J'ai bien réfléchi, je suis motivée. Et puis j'ai besoin d'eux...

Sa voix se brise tandis que l'expression de son adversaire s'adoucit. Peu à peu, Kia commence à comprendre quel genre de détermination habite la jeune fille. Elle serait cruelle de lui refuser le seul rêve qu'il lui reste.

— Je peux t'y emmener, alors ? accepte finalement la Briseuse. Si ta décision est prise.

— Elle l'est depuis longtemps ! confirme Glaëlle en relevant le menton. On te suit !

Le sourire de Kia se perd en cours de route.

— ... on ?

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now