Retour sur Terre /1

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Court court court. Long. Long. Long. Court court court.

Elle le répète, SOS, pour que les secours viennent. Pour qu'on vienne la sauver.

Court court court ! Long ! Long ! Long ! Court court court !

Même si appuyer plus fort sur la plaie ne les fera pas aller plus vite, Glaëlle appuie de toutes ses forces. Même si cela doit lui faire de plus en plus mal, même si son bras commence à s'ankyloser, même si chaque incision la répugne plus que la précédente, elle appuie toujours plus fort.

Elle veut revoir le ciel. Elle veut entendre le chant des oiseaux, le rire de Vrane. Elle ne supporte plus le bruit des balles. Elle a peur, elle veut regagner sa maison. Elle veut revoir ses amis, elle veut retrouver ses parents. Elle veut sentir leur étreinte, leur chaleur... et puis elle se rappelle qu'ils sont morts, et qu'elle ne peut plus les serrer dans ses bras. Elle se fait violence pour les chasser de son esprit. Qu'ils restent avec les morts, elle ne veut pas les rejoindre de si tôt !

Mais rien n'y fait, ils lui reviennent sans cesse en tête. Il faut la comprendre, il y a un an, ils étaient encore près d'elle. Alors la jeune fille finit par leur demander de l'aide.

Elle prie pour qu'ils la laissent demeurer loin d'eux un peu plus longtemps. Elle leur promet qu'elle reviendra à la maison, un jour, pour se blottir dans la chaleur de leur bras. Loin du bruit, des combats, de la guerre et du sang. Un jour, elle les retrouvera. Mais pas aujourd'hui.

Elle leur promet de se tenir sage d'ici là, de respecter la vie qu'ils lui ont offerte. Elle leur promet qu'elle fera des efforts, qu'elle ne se battra plus. Elle ne veut pas partir maintenant.

Court court court. Long. Long. Long. Court court court. Encore !

Ses tympans devraient être détruits, le bruit des balles devrait les avoir perforés depuis le temps qu'elle les supporte. Glaëlle veut que ça s'arrête. Sauf que ça ne doit pas s'arrêter. Et puis... et puis... elle a mal aux oreilles.

Ça ne l'empêche pourtant pas de percevoir le grincement de la porte de service devant elle, ni d'entendre les coups qui frappent contre le métal. Elle reconnaît des voix étouffées derrière. Les battements de son cœur s'affolent, tant pis si ça doit lui faire perdre plus de sang.

Des ennemis ? Encore ? s'inquiète-t-elle. Non, les ennemis sont derrière elle. Les ennemis ne forceraient pas leur propre porte, et c'est pourtant bien une explosion qui en a raison.

Les ennemis n'ont pas ces cheveux si jaunes, ni ce sourire si ravageur. Il n'y a qu'une personne sur Terre qui a des cheveux si jaunes et ce sourire si ravageur... et il n'est pas là. Il ne peut pas être là. Glaëlle doit rêver.

Pourtant, elle l'a bien appelé.

La lumière blanche se déverse par l'ouverture. Elle se glisse jusqu'à la pointe des pieds de la jeune fille, éclaire le sol devant elle et fait briller ses yeux éteints d'une nouvelle teinte de vert. Une silhouette s'avance dans la pièce, son image se précise. Ses cheveux jaunes, sa mitraillette, ses deux bandeaux en travers du visage. Glaëlle pourrait presque le toucher.
La jeune fille laisse retomber son poignard ensanglanté contre sa cuisse. Sa main tremble trop, son bras n'arrive plus à accomplir ses gestes. Mais elle veut le toucher !

— Pile à l'heure ! s'enorgueillit-il en sautant à pieds joints dans l'enfer, tout de vie et de bonne humeur.

Il n'y a pas de doute, c'est Isaac, songe la rouquine en soupirant. C'est bien Isaac !

Plus grand que le bureau qui protège la jeune fille, le Briseur s'offre en cible facile à tous les tireurs en arrière. C'est sans compter la rafale de balles qu'il fait pleuvoir sur la pièce sans attendre qu'on s'en prenne à lui.

— Bonne idée le morse, poupée, complimente-t-il ensuite en se baissant à hauteur de la jeune fille, détachant son arme pour la recharger. T'es vraiment douée !

— Tu parles trop, siffle une voix traînante dans son dos.

Rapide comme l'éclair, une autre silhouette s'infiltre dans la pièce. Poignard au poing et cheveux blancs dans sa traînée, le nouveau venu file droit vers le fond de la salle pour abattre un à un les soldats ennemis encore debouts.

Alors, le temps reprend forme. La douleur s'estompe. La jeune fille lâche prise, laissant place à un soulagement sans borne qui emplit la moindre parcelle de son corps.

Ils sont venus. Ils sont là !

Soudain, peu importe ce qu'elle a vu, entendu, ressenti ou pensé. Peu importe ce qu'il a pu se passer durant cette terrible parenthèse empoisonnée. Tout disparaît devant cette réalité écrasante : elle est sauvée !

Isaac se relève et s'aventure plus loin dans la pièce, partant finir son travail. Une troisième silhouette passe bientôt l'ouverture pour le remplacer auprès de Glaëlle.

Une fois agenouillé devant elle, le nouvel arrivant prend doucement son bras dans ses mains afin de l'examiner. Glaëlle se laisse faire sans parvenir à réagir. Sa voix est coupée, une multitude d'émotions la traversent et son corps est trop faible pour les exprimer. Elle se contente donc de respirer, parce que c'est si bon, de respirer.

Elle voit la crinière dorée du jeune homme docilement passée derrière ses épaules. Son regard bienveillant, son sourire rassurant... le reste, tout le reste, Glaëlle l'oublie.

Elle n'a pas peur de fermer les yeux à présent, elle ne craint plus rien. Après un dernier remerciement à qui voudra bien l'entendre, elle se laisse sombrer dans l'inconscience.

Coeur de pierreWhere stories live. Discover now