Ildya

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Ildya n'aimait pas vraiment sa famille. Cette affirmation lui avait frappé au visage alors qu'elle était toute petite.
La seule personne aimante qui avait pu lui donner de l'amour est si lointaine que c'est trop douloureux d'y penser.

Là voilà, dans sa chambre violette, aux couleurs bleutées, des pierres un peu partout, une chaîne dans la main, les yeux clos, avec pour étoiles les post-it qui décrivent l'infini.
Elle se concentre, se focalise sur ses pensées essentielles, expire doucement, puis le brouhaha reprend dans la maison.

Ses sourcils se froncent, ses mains se crispent, ses pensées se perdent, et les gamins font trembler les murs.

La fille à la peau couleur inconnue a envie de crier. Elle a envie d'exploser, là, dans son espace si serein, mais se retient, respire profondément, puis ouvre les yeux.

Le lit craque, le sac jaune est accaparé, et une porte se claque.

Les cris ne s'arrêtent pas, au contraire, sont de plus en plus forts à mesure qu'on ne leur demande pas de se calmer.
Une femme est là, dans la grande pièce de la maison, un verre de vin à la main.

Elle est blonde, des ongles parfaits aux doigts, un peignoir long et truffé de plumes, et malgré l'heure tardive, porte toujours du rouge sur ses lèvres vieillit. Sa peau se craque au fur et à mesure que les jours passent, mais c'est le genre de personne qui veut faire croire que la jeunesse n'est pas très loin, ou qu'elle est même encore là.
Et cela répugne Ildya.

« Que comptes-tu faire à cette heure tardive ?

-Je vais prendre l'air. Il m'est impossible de penser avec un tel tintamarre.

-Tu es ridicule de parler ainsi.

-Tout ce qui n'est pas ridicule est stéréotypé.

-De quoi parles-tu ? »

Les yeux de l'adolescente scrutent tous les détails de la grande pièce. Des immenses fenêtres, le sol si propre que l'on pourrait s'y voir quand on baisse les yeux, la cheminée à la pointe de la technologie, et une vieille dame jalouse de sa fille adoptive.

Un rire foule l'air, la blonde regarde l'autre interloquée.

« De rien. »

Puis elle s'en va, laissant une traînée de parfum senteur lilas.

La jolie fille laisse flotter ses cheveux sous le vent, pourvu qu'ils ne soient pas très longs.
Elle vagabonde au rythme des musiques des bars lointains, et espère trouver quelque part de la compagnie.

Des voix s'élèvent dans l'air, un peu réchauffé par l'été, son regard se porte sur les groupes d'amis qui rigolent, qui ont l'air d'être heureux ensemble, et se dit qu'elle aimerait bien faire parti de cette euphorie.
Ildya n'a jamais vraiment eu de vrais amis. Et les seules personnes avec qui elle partage quelque chose aujourd'hui, est la personne qu'elle choisie d'aimer pour la nuit du samedi. Elle avait pourtant essayé de garder contact avec ses premiers amours du samedi, mais la fille aux cheveux roses, le garçon qui portait des jupes, ou encore la fille qui aimait les livres, n'étaient peut-être pas de cette avis.

Elle regarde les étoiles, se dit qu'elle a l'Infini sur ses épaules, mais que ça ne lui rend peut-être pas service.

Un rire la tire de ses songes, et pas loin d'elle se trouve un restaurant rouge à l'allure rétro.
Un garçon au sourire éclatant se tord de rire dans les bras d'un décoloré, et six autres personnes rigolent avec l'autre.
Et dans tout ce petit monde, se trouve l'un des amours du samedi de la jolie fille.

Alors, avec des pas assurés mais tremblants, des mains refermées en point mais moites, elle s'approche des adolescents de son âge.
Elle se racle la gorge, moyen de se faire repérer sans trop s'imposer, croise le regard des gens qui se tournent vers elle, et sourit à son vieil amour.

Celui-ci fronce ses sourcils, la reconnaît -du moins elle en est convaincue-, puis l'oublie.

Ildya ne comprend pas. Elle ne comprend pas pourquoi tout le monde veut l'oublier. Alors elle sourit, s'excuse, et s'en va.
Elle en a l'habitude maintenant, de s'en aller, puis, c'est comme ça, ça va aller.

Alors la fille dont on ne connaît pas la couleur de peau, ni la couleur de ses cheveux s'enfuit, loin, pour essayer de peut-être se faire oublier sous l'Infini.

A nos heures de Dysphorie [Taekook]Where stories live. Discover now