XXI. Johannah.

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2 weeks.

« - Vous avez déjà pensé à consulter, auparavant ?

- Non. »

Je grogne en baissant les yeux vers mes jambes croisées. Il faudrait réellement que je jète ce vieux jean déchiré à la poubelle. Mais Harry l'aime bien.

Sauf qu'à force de faire tous ce que Harry aime, je me retrouve en face d'un homme avec la moustache qui ressemble fortement à celle de Hitler et qui a l'air de s'être renversé un pot de gel sur la tête ce matin.

En plus il n'est même pas là. "Je t'attend ici." Alors qu'il avait le droit de venir avec moi. J'aurais pu triturer ses doigts au lieu des miens.

« - Et pourquoi êtes-vous là, alors ?

- Parce qu'on m'y a poussé.

- Votre entourage pense donc que vous en avez besoin.

- Sûrement.

J'hausse distraitement les épaules. Si on part du fait que j'ai besoin de tel ou tel chose, alors il me faudrait aussi un père et une mère, peut-être quelques frères et sœurs histoire que je ne me retrouve pas fils unique. Ah, et aussi, beaucoup d'amour.

- Monsieur Styles m'a vaguement parlé de vos symptômes.

- Mes symptômes ?

J'ai l'impression d'être malade quand il emploie ce mot là.

- Votre manque de... D'émotion. Savez-vous, que c'est un signe de dépression sévère ?

Pourquoi a-t-il besoin de rajouter "sévère" ? Puis j'ai l'impression qu'il pense m'apprendre quelque chose. Qu'il croit être le premier à me faire le speech du "tu t'enfonces dans quelque chose de mauvais." Bah tiens mon gars, si tu savais tous les services sociaux que j'ai traversé, t'en aurais la langue pendue le long de ce fichu tapis en moquette sale qui trône ton entrée.

Il faut vraiment que j'arrête d'écouter Harry. Ça fait à peine deux semaines après tout. À peine deux semaines que l'on ose se voir plus souvent, plus intimement aussi. Alors pourquoi accepter tous ça ? Puis je lui en ai trop dis. Vraiment trop.

- Vous voulez savoir mon hypothèse ?

- Non.

- Eh bien je vais vous la dire mon hypothèse. Je soupire en levant les yeux au ciel. Je pense que durant votre enfance, vous ayez reçu un choque émotionnel tellement important qu'il vous a bloqué. Qu'il vous a fait vous interdire ne plus rien ressentir d'autre, si cette chose n'est pas aussi... Conséquente ?

Je fronce les sourcils en ruminant dans ma barbe. C'est sûr qu'un homme qui émet une hypothèse après à peine 10 minutes d'entrevue, c'est un homme qui connait énormément son job. Ou alors un médium, peut-être ?

- Écoutez, je ne sais pas ce qu'il se passe chez moi, et à vrai j'en ai plutôt rien à faire. Je suis venu ici par politesse, galanterie. Vous savez ? Bien. Alors, soit nous parlons d'une chose utile, soit la séance peut s'écourter directement.

Il tapote nerveusement son crayon mâchouillé sur son bloc-note - qui je vois d'ici - est rempli de gribouillages. Comme quoi ce n'était pas un mythe cinématographique ça...

- Parlez-moi de vendredi dernier.

Harry semble lui avoir raconté ma vie dans les moindre détails. Je n'ai plus qu'à énumérer les plats que je me suis servis cette semaine histoire de voir si monsieur j'ai-des-cheveux-aussi-gluant-qu'une-limace est à jour sur ses infos.

- Vendredi dernier... Harold m'a cuisiné un bon petit plat, vous savez, du canard confit avec des...

Il me coupe d'un geste calme de la main, avant de replacer ses lunettes sur le haut de son nez.

- Passez directement à la nuit.

Rah, je vois où il veut en venir. Et c'est là que je regrette pour la énième fois depuis que je suis dans cette pièce, d'avoir accepté un autre caprice d'Harry.

- Nous sommes sortis.

- Où ?

- Au cimetière.

Je frisonne légèrement avant de grimacer pour moi-même. Qu'est-ce qu'il me prend ? Et la prochaine chose intime que je lui dirais, ce sera la couleur de mon boxer peut-être ?
"C'est qu'un simple psychologue Louis." Mon cul ouais, il soutire des informations pour le gouvernement américain.

- Qu'avez-vous fait au cimetière ?

- Une partie de tennis enfin.

Je grimace bêtement avant de pouffer et de m'affaler plus exagérément sur ce canapé qui, je ne peux pas dire le contraire, est assez confortable même si ma position n'est pas très classe.

- Bon, je pense que vous voulez que je vous raconte toute l'histoire en détail ?

Il hoche la tête en silence, sûrement pour être sur de ne pas me couper. Je me racle la gorge en décroisant mes jambes puis soupire un bon coup, relâchant une partie de mon stresse.

- On est allé voir la tombe de ma mère, ouais. C'était étrange, je peux vous dire que pour le coup, je l'ai bien senti le mal aise. Et non, il n'y avait pas la tombe de mon père à côté. Ça... C'est tout une autre histoire. Il s'est fait incinérer pour que ses cendres soient jetées dans l'océan atlantique. C'était son dernier souhait, vu qu'il aimait beaucoup l'étude des animaux marins. Enfin, c'est ce qu'on m'a dit.

- Qui ?

- Une tante éloignée. Mais je n'ai plus de contact depuis, un bon bout de temps.

- Reprenez.

- Mh. Donc, Harold m'avait obligé à prendre des fleurs, histoire de faire plaisir à ma mère. Mais elle est morte, comment elle pourrait voir que j'ai fait l'effort de lui rapporter des roses bleues ? C'est Harry qui a choisit. Il a dit que c'était plus joli, le bleu, que ça donnait de la gaieté au lieu. Moi je pense qu'un cimetière, c'est fait pour être triste. Que c'est inutile de vouloir l'enjoliver, parce qu'il ne fait qu'accueillir des âmes éteintes et puis une tonne de famille en pleure. Il faisait noir, alors il nous éclairait avec la lampe torche de son téléphone. La tombe était propre, elle avait quelques fleurs fanées que j'ai préféré jeter parce que ça faisait négligé. Puis Harry a doucement chuchoté « Johannah Margarette Tomlinson » gravé dans la pierre blanche. Et je l'ai suivis, « Décédée 01/06/2000 ». Il m'a dévisagé, parce que bien évidemment avant il y avait la date de naissance. Le début de sa vie, alors que moi je ne lisais que la fin de celle-ci. Et puis il m'a demandé ce que ça me faisait, ce que je ressentais, si il devait partir un peu plus loin pour me laisser avec elle. Mais qu'est-ce que j'aurai bien pu lui dire, hein ? J'étais qu'un gosse qui dessinait des super-héros dans un coin de ma classe de primaire quand elle est partie. J'avais aucun repère. J'étais aussi perdu que maintenant, je crois bien. Alors quoi ? Lui cracher à la gueule comment sa mort m'a rendu ? Parce que je sais que ce n'est pas à cause d'elle que je suis comme ça. C'est juste moi. C'est ma façon d'être, c'est comme ça. Et Harry l'a lu, tout simplement dans mes yeux, alors qu'il était prêt à partir plus loin pour me laisser avec un mort. Le seul problème c'est que moi aussi je suis mort. Je suis complètement mort intérieurement, et il l'a vu. Alors il a resserré sa mâchoire, vous savez, au point qu'on en voit quelques veines qui donnent l'impression qu'elles vont éclater d'une minute à l'autre. Et il m'a... Ouais, il n'a pas mâché ses mots cette fois-ci. C'est la première fois qu'on se dispute, sur quelque chose de sérieux. Souvent c'est un débat, politique, culturel. On échange nos avis sur un ton fort. Mais non, cette fois-ci il m'imposait le sien. Il me l'imprégnait dans "mon foutu crâne" comme il disait. Et j'avais envie de le reprendre... Parce que je préfère le langage galant à celui de vulgaire. Mais je l'ai pas fait, j'ai préféré l'écouter au lieu de m'écouter moi. Je crois que c'est un vrai pas, ça. Pour moi, pour lui, et peut-être pour nous. Vous savez, à vous il vous manque peut-être du shampooing, mais à moi il me manque tout. »

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Si tu tombes, je tombe avec toi.
Littéralement.

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C'est court... Mais comme je suis en vacance je vais poster un peu plus rapidement. Enjoy, et merci pour les 50 000 vues .x

Let Me Feel.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant