VI. Ignorance.

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Deux semaines se sont écoulées sans que je ne croise Harry. J'ai repris mes rituels dès le départ de Liam qui a rejoins sa fiancée sur la côte d'Azur. Le paquet attendait toujours sagement sous la commode du téléviseur de ma chambre et tout était bien mieux ainsi. Ma vie reprenait petit à petit son train-train habituel toujours aussi ennuyeux.

C'est aux alentours de 22H qu'une soudaine envie d'aller airer dans les rues de Londres me prend. J'enfile rapidement mes tennis noirs et démarre mon pas dès que la porte d'entrée claque derrière moi. La ville est encore fortement agitée, malgré les rues piétonnes bien moins bondées. C'est à une trentaine de minutes de marche plus tard que je tourne sur Colebrook Row. Je m'arrête un instant devant la bâtisse où j'avais passé une de mes soirées, il y a bientôt un mois de cela.

Je mord légèrement l'intérieur de ma joue avant de me décider à y pénétrer. Le lieux est embaumé dans un brouhaha de rire, de cris, de verres qui trinquent et de tapement de pied. Je pose mes yeux près du bar et remarque qu'un match de foot se déroule sur l'écran plat qui le succède. Je grimace n'aimant aucun sport si ce n'est la course à pied. Mes yeux glissent vers les personnes assises près du comptoir et j'aperçois cette petite tignasse brune qui m'ignore depuis quelques semaines. Je ne cherche pas à l'interpeller et me dirige à quelques mètres de celui-ci pour m'adresser au barman.

« Une bière. »

Je ne lui adresse aucun signe de politesse si ce n'est un bref regard. Je prends appuie sur mes coudes posés sur la comptoir et tourne lentement la tête vers le bouclé qui vidait son mojito d'une seule traite. Celui-ci ne m'offre qu'un léger coup d'oeil avant de se concentrer sur l'écran dans mon dos. Il m'ignore. Et cette idée me fait légèrement grimacer alors que je détourne mon regard vers le barman qui me tends ma commande. Je lui adresse un signe de tête comme remerciement et commence à boire sans cesser d'observer Harry du coin de l'oeil. Il porte une chemise en jean retroussé aux manches et ouverte au trois quart laissant apparaitre une majeure partie de son buste nu ainsi que le commencement de ses abdominaux. Quelques tatouages sont imprégnés sur son torse ainsi que sur ses côtes, mais ces derniers sont peu visibles. Je remarque que ses boucles ne tombent pas sur son front. il ne porte pas de bandeau mais bel et bien un énorme chapeau. Cela-dit, ça lui va très bien.

Je finis mon verre et glisse un billet en dessous en le reposant sur le comptoir. Monsieur-j'ai-une-tête-à-chapeau ne décide toujours pas de m'adresser la parole, ce qui d'un côté frappe mon égo de pleins fouet.

« J'aimerai être désolé. »

C'est sorti comme ça. Alors que mon regard transperçait ses tendres iris vertes, je lui avoue mon envie d'avancer sans pour autant y arriver. Je ne sais pas ce qu'il me prends, mais depuis son entrée fulgurante dans ma vie, mon impulsivité redouble pour ce qui est de lui débiter connerie sur connerie. Mon passé et mes pensées. C'est quoi la prochaine ?

« - Je sais.

Il murmure ces deux mots, et les râlements des supporters à mes côtés ne m'aident franchement pas à comprendre son chuchotement.

- Bien. »

Je me lève ne sachant que dire de plus pour me diriger vers la sortie. J'ai pensé l'espace d'un instant qu'il se serait levé pour me retenir par le bras, mais non. Ce n'est pas que je l'espérais, ce n'était juste qu'une hypothèse à ce qui aurait pu se passer. Je ne me retourne pas et m'en vais. Je sais qu'il n'a pas encore abandonné, pourtant je ne saurais dire que me vaut ce surplus d'ignorance totale. Je hausse les épaules en me répondant à moi même, les mains dans les poches, en continuant de marcher sur les rues pavées de la capitale.

J'ai l'impression de stagner. De rester au même point depuis plusieurs années. J'ai l'impression d'être un robot auquel on aurait donné une intelligence artificielle. Je sais interagir mais pour ce qui est de ressentir, c'est une toute autre chose. Et pourtant j'aimerai. J'aimerai crever de douleur parce que mon premier amour m'a quitté, j'aimerai sourire de bonheur parce que quelqu'un me rends heureux, j'aimerai me noyer dans une tornade d'émotions toute plus éprouvantes que les autres. Mais je n'y arrive pas, et à force je n'essaye même plus. Je suis lassé et agacé, c'est tout ce qui ressors de moi. Je frappe dans un cailloux en faisant une moue boudeuse. Je n'ai pas envie de rentrer chez moi non plus. C'est trop vide, trop impersonnelle. C'est la demeure que mes parents m'ont laissé à leurs morts, pourtant tout ce que j'aimerai c'est la revendre. Mais je ne peux pas, parce que ce serait trop irrespectueux. Quoi qu'en soi, je m'en contre fou totalement du respect ou non, mais le reste de ma famille me renierai très vite. Et même si cette maison vaut une petite fortune, j'ai besoin de leurs richesse pour continuer à vivre pleinement ma vie monotone. J'emprunte Hyde Park et me décide d'aller m'asseoir à un banc. Le ciel est dégagé et recouvert d'étoiles. Je penche ma tête en arrière et pose ma nuque sur le haut du dossier. Peut-être que j'aurais dû demander à Liam de rester plus longtemps. Peut-être que je devrais vendre la maison et m'installer autre part, voir dans un autre pays. L'air londonien m'étouffe. Chaque lieu me rapporte à un souvenir, bien que celui-ci ne me fasse ni chaud ni froid. Ma mémoire reste intacte. Je frissonne légèrement. Malgré que nous soyons en mi-mars, les nuits se font toujours aussi fraiches. Je focalise mes yeux sur le ciel parsemés de petits points étincelants. Je me mord la lèvre en essayant de repérer la grande ours.

Let Me Feel.Onde histórias criam vida. Descubra agora