XIII. Immaculé.

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« Dans 500 mètres, tournez à droite.»

Je grogne et active d'un coup sec les essuies-glaces. Il pleut à torrent et si je met l'auto-radio pour oublier le son du tonnerre, je n'arriverai plus à entendre la voix crapuleuse du GPS.

« Au prochain rond point, prenez la troisième sortie. »

Il fait sombre, tellement sombre. Et je crois que mon énervement n'est pas seulement dû à l'appel d'Harry ou encore à la météo, mais bel et bien à la destination. Logiquement, tout bon londonien saurait aller sans aucun problème à l'hôpital de la Capital. Tu prends à droite, à gauche, et t'es arrivé. Comme un genre d'automatisme de survie. Mais c'est peut-être ma mémoire qui veut me jouer des tours, à devoir prendre le GPS pour une si courte distance, si trente minutes de route parait peu. Mais ça fait tellement longtemps que je n'y ai plus mit pied. Je ne sais plus, à vrai dire. C'est pas comme-ci c'était préférable de se rappeler du lieu de la mort de sa génitrice. Alors c'est peut-être ça ouais, le choque émotionnel dû à sa mort qui m'a fait oublier le chemin jusque là. Le choque émotionnel, ou simplement une mauvaise mémoire.

Les lampadaires du parking fonctionnent une fois sur deux, alors je m'autorise à mettre les pleins phare pour me garer. C'est grand, prestigieux hormis le mauvais fonctionnement de l'éclairage extérieur.

Mais ça pue le désespoir des malades et le sang froid des médecins à des kilomètres. Je soupire longuement en coupant le moteur.

Je me suis toujours demandé comment un médecin devait se sentir quand il apprenait la mort d'un patient à sa famille. Qu'il échouait sa mission, en péril d'une vie. Qu'il tua, entre-autre, la personne. C'est sûrement un métier fait pour moi, ou pour le genre de personne comme moi. Qui se dit "peu importe" et qui balance sans trop s'intéresser à la peine qu'il inflige.

Les phares s'éteignent ainsi que mon tableau de bord et mon GPS. Au revoir à la voix débile qui me sert de guide routier. Je sors de ma voiture, la verrouille et trottine jusqu'à l'établissement pour longer le mur de briques mal recouvert d'une peinture blanche, qui maintenant, est écrue et écaillée.

J'arrive dans le Hall et frémis, non pas à cause du changement brusque de température mais simplement parce que le lieu n'a pas changé, d'un pouce. Je fais une légère moue pour moi-même, observant les personnes qui grelottent de fois, recouvert d'une couverture usée sur les épaules, les maris qui se servent dans les distributeurs une boisson énergétique pour tenir quelques heures de plus, sûrement pour l'arrivé de leurs enfants.

Les hôpitaux sont souvent bien plus actifs la nuit, comme les vampires.

Je marche vers l'accueil et salue d'un hochement de tête distrait la secrétaire. Elle tapote sur son ordinateur, sûrement pour se donner une prestance, car simplement en baissant les yeux je vois la petite fenêtre du jeu de solitaire ouvert sur son écran. J'aime pas ce jeu, il porte tellement bien son nom.

Solitaire.

J'ouvre la bouche pour prendre la parole et la referme aussitôt. Je ne réfléchis que maintenant à ce que je pourrais bien lui dire. C'est vrai, j'ai aucune information sur la personne hospitalisée. Puis à cette heure-ci, les visites sont finies depuis bien longtemps. Je grogne un peu entre mes dents et détourne le regard, sentant celui de la secrétaire-je-fais-genre-d'être-overbooké sur moi. Je m'écarte du bureau et glisse mes mains dans les poches de mon blouson, pour y ressortir de celle de droit mon GSM.

✉ De Moi à Harold. : Je suis dans le Hall, je ne crois pas que demander pour la visite d'une personne dont je ne connais même pas le nom à la dame de l'accueil serait une bonne idée. ✉

✉ de Harold. à Moi : "La dame de l'accueil" tu es adorable. J'arrive .x ✉

Je fronce les sourcils en rangeant mon portable. Je tape du pieds en croisant les bras, c'est souvent comme ça que les gens attendent impatiemment dans les films. Ils regardent aussi souvent leurs montres, croyant que l'heure passera surement plus vite, mais moi je n'en ai pas. J'ai les bras nus, même pas un petit bracelet tressé par la petite cousine qui s'entraine à devenir confectionneuse de bijoux. Encore faudrait-il que j'ai ce genre de petite cousine. Je souffle et lève les yeux au ciel, c'est impressionnant comme j'ai l'habitude de me faire la conversation à moi-même.

Let Me Feel.Where stories live. Discover now