XXXIII. Chasing cars.

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Liam m'a conseillé de reprendre mes vieilles habitudes, à quelques détails près, revenir à ma vie d'avant. Il a ramené ma bandoulière en vieux cuir de l'année dernière, l'a posé sur la table basse en verre du salon et en a vidé son contenu devant mon regard quelque peu confus.

Il en a sorti mon vieux carnet de brouillon. Celui qu'on traîne tous dans son sac, en soi, dont la reliure parait le double de son âge et où la couverture en carton est à deux doigts de rendre l'âme. Il ne l'a pas feuilleté. A vrai dire je n'ai jamais laissé personne le feuilleter à part... Harry. Au café, il y a... Bien longtemps. Je me rappelle comment ses longs et fins doigts avaient caressé le titre de première page.

Amoncellement de ratures.

Alors j'ai prit ce cahier et j'ai, moi aussi, retracé les lettres légèrement penchées de ce titre de mes fins - mais non très longs - doigts. Le papier était doux, c'est un papier recyclé. J'avais pensé en l'achetant que peut-être grâce à cela j'avais aidé un pauvre arbre à pouvoir servir plus d'une fois même si je ne sais en aucun cas les composants des papiers recyclés de cahiers premier prix.

Et me voilà, assis au beau milieu de mon lit, les draps emmêlés avec mes jambes nues et ce fichu cahier ouvert à la dernière page utilisée. La fin de mon brouillon d'histoire policière. Moi ? Moi je ne sais pas retranscrire les émotions comme il le faut ? C'est bien ce qu'il disait. Mais bordel, j'aimerai tellement comme il voit que c'est faux maintenant. Que grâce - ou à cause - de lui, chaque mots que mon stylo offert par la banque de Liam, dégage une émotion. Chaque mots à sa chose.

«  Écris tout ce que tu as besoin de dire à haute voix mais que tu ne fais pas.  »

J'ai besoin de raconter ce sourire narquois qu'il affichait lors de nos premières paroles, j'ai besoin de raconter le regard qu'il avait lorsqu'il le posait sur moi, qui détaillait chaque parcelle de ma peau, chaque mouvements de mâchoire lorsque je sortais ne serait-ce qu'un mot. J'ai besoin de dire au monde entier à quel point ses yeux crevait d'amour hypocrite, d'à quel point les miens crevaient tout court.

Alors j'écris, je rature, je râle, je chiffonne, j'arrache. Toute les nuits, durant... Je ne sais combien de temps. Je ne prends même plus le temps de me rendre en cours, de répondre aux quelques appels (de politesse) de ma chère tante et encore moins aux messages de Harry. Je me dis qu'il se lassera sûrement, qu'un jour il comprendra bien qu'il ne peut pas jouer une énième fois avec la même personne sans que cela ne dérange personne. Puis, il trouvera mieux. On fini toujours pas trouver mieux.

Liam m'a confisqué la cassette de Harry. Il m'a dit que, dès que je serais prêt, j'irai la lui rendre en main propre avec le sourire le plus joyeux qui soit du genre "tu vois comme je suis heureux sans toi, vieux chnoque". Autant dire que pour l'instant je suis loin d'être prêt pour ce genre de chose. Je serais plutôt du genre à le fixer un long moment et finir par me laisser tomber dans ses bras en lui demandant de me pardonner. Mais qu'est-ce qu'il aurait à me pardonner, après tout ? De l'avoir aimé ? C'est plutôt lui qui devrait s'excuser de m'avoir fait l'aimer, pas le contraire.

Quel esprit contradictoire... Je me perds réellement trop dans mes pensées. Mais c'est comme ça que j'écris, que l'inspiration traverse mon corps pour se nicher au bord de mes ongles et tremper sur le papier. C'est comme ça que j'arrive à écrire mon histoire, avec Harry. Putain, je suis sûr que le psychologue que Harry m'a fait consulter aurait sauté de joie en voyant ça, à quel point j'ai la facilité de m'exprimer.

Je parle aussi de mes parents, de leurs rencontre dans un café de bord d'autoroute parce que l'un avait crevé et l'autre n'aimait pas voyager seul. Du comment et du pourquoi ils n'ont voulu qu'un seul enfant, d'à quel point ils semblaient m'aimer alors que moi... Non. D'à quel point je me sens idiot à présent d'avoir été aveugle si longtemps, de croire que je pouvais rester de marbre toute ma vie sur leurs absence. Parce que bordel, c'est pas ton voisin, c'est pas cette vieille dame du coin de la rue qui t'offrait toujours quelques cacahuètes salées quand tu passais près de chez elle. Ce sont tes parents, tes géniteurs. Et ils m'aimaient...

Let Me Feel.Where stories live. Discover now