Regarde Moi

CHAPITRE 10

JASON

Même si à l'extérieur, je me comporte simplement comme quelqu'un de curieux, à l'intérieur, l'ambiance est tout autre. Je crois qu'il y a une multitude de Jay qui courent dans tous les sens dans ma tête en hurlant, les bras en l'air. Je suis chez Elijah, seul avec lui. Évidemment, il ne me ramène pas chez lui pour espérer passer du bon temps mais c'est déjà un exploit. Nick n'est nulle part pour donner à ce moment un côté « sortie entre potes ». J'ai beau ne pas le montrer, je suis aux anges.

Eli se dirige vers son frigo pour sortir les bières promises alors que je m'approche de l'étagère qui se trouve sur un pan de mur. Entre des livres et quelques babioles, des photos sont encadrées. Elijah et sa mère, Elijah et son père. Elijah et Nick à l'université. Elijah et Nick en voyage. Elijah et Nick dans le jardin de mes parents. Elijah et ma famille lors du traditionnel repas du dimanche.

Alors que je pense être le grand absent de ses souvenirs, mon regard accroche une photo un peu à l'écart. Sur celle-ci, je ne dois pas avoir plus de quatorze ans et elle semble avoir été prise l'été avant son départ à l'université. Elijah est assis sur la balancelle, le nez plongé dans un roman alors que ma tête est posée sur son épaule et que je semble endormi. L'une de ses mains est posé sur ma tête alors qu'il semble me faire des papouilles. On peut apercevoir sur mes lèvres l'ombre d'un sourire.

Je me souviens de cet instant-là mais je ne savais pas qu'il avait été immortalisé. Encore moins qu'Elijah en avait une photo dans son salon. Je me souviens parfaitement du bond que j'avais fait en me réveillant, la peur de lui avoir bavé dessus me serrant le ventre. Évidemment, tout le monde avait ri sans savoir que mon cœur battait à mille à l'heure d'avoir été si proche de lui. Une fois mes esprits repris, il m'avait fait un petit geste de la main pour que je revienne m'assoir à ses côtés. Ses doigts avaient à nouveau rejoint mes cheveux et il m'avait incité à reprendre ma place. Je ne m'étais pas fait prier et je m'étais réinstallé, survolant son roman du coin de l'œil. Ce jour-là, j'étais au paradis. J'ignorais que quelques jours plus tard, je pourrais enfin découvrir la saveur de ses lèvres.

Ses pas qui se rapprochent de moi me tirent de ma contemplation et je me tourne vers lui. Son regard s'attarde sur la photo avant qu'il ne croise le mien et ne m'adresse un sourire. Il me tend une bière fraiche que j'attrape, mes doigts frôlant les siens. Je voudrais pouvoir dire que je l'ai vu réprimer un frisson à mon contact, mais la vérité est tout autre et c'est moi qui retiens un soupir avant de rejoindre le canapé qu'il me désigne pour m'y affaler.

- Ton appartement est sympa. Tu dois être mieux que dans l'ancien.

- Ce qui n'est pas bien difficile ! C'était un véritable placard à balai. Même ma chambre universitaire était plus grande. Et je la partageais avec ton frère !

Un instant, je les imagine vivre tous les deux dans un espace exiguë, mais ma pensée s'éloigne quand il s'assoie à mes côtés, sa veste en jean abandonnée sur l'accoudoir. Son bras frôle le mien et je savoure ce contact. Sa peau est chaude contre la mienne. Pour reprendre contenance, j'apporte la bouteille à mes lèvres et bois une longue gorgée. Le regard d'Elijah glisse sur mon visage avant de m'imiter.

Je ne sais pas quoi lui dire. Je souhaite toujours me retrouver dans cette situation et, maintenant, mon cerveau ne m'est d'aucun secours. Je vois sa pomme d'Adam bouger alors qu'il avale le liquide ambré et je rêve de passer ma langue dessus. Je voudrais être là pour avoir le plaisir de toucher sa peau, mais je dois rester à ma place. Il m'adresse un sourire, totalement inconscient de mon trouble, et commence à me questionner sur mes années d'études. Je le remercie mentalement pour son aide et réponds à chacune de ses questions, la tension quittant peu à peu mon corps.