CHAPITRE 6

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JASON

Je me souviens parfaitement du moment où je préparais ma valise pour rejoindre mon école. J'avais dix-huit ans et j'allais intégrer l'établissement que je convoitais depuis des années. C'était une école de danse et non l'université de Nick, ce qui me convenait. Je ne souhaitais pas voir Elijah roucouler avec ses petits-amis toute l'année. Tony n'avait été là que pour un temps et j'étais certain qu'il n'avait pas été le seul à passer entre les bras de celui que je désirais. Il était temps que je vive pour moi. Peut-être que, malgré tout ce que je pouvais ressentir pour lui, il n'était pas celui fait pour moi. À ce moment-là, tout cela m'importait peu. J'allais intégrer une école de danse réputée et ça me comblait.

J'étais occupé à boucler mes bagages quand Elijah m'avait rejoint, son épaule en appui contre le chambranle de la porte. Il m'avait regardé faire pendant un moment, sans parler. J'avais attendu qu'il se décide. Une minute. Puis deux. Puis trois. Ma valise avait rejoint le sol quand il avait ouvert la bouche. Il avait dit « c'est une bonne école que tu as intégré » et « tu vas tout déchirer ». Il n'en savait rien, il ne m'avait jamais vu danser. Il avait toujours autre chose à faire que de m'accompagner au studio quand il était en ville. Je ne prenais plus de cours dans l'école depuis longtemps, Gaël était devenu mon professeur particulier. Il était celui qui m'avait permis d'en arriver là.

Je l'avais détaillé un instant, comme si je cherchais à graver son image dans ma mémoire. Son jean noir qui moulait ses jambes, son tee-shirt blanc caché sous une chemise à carreaux rouge, ses yeux bleus pétillants et ses cheveux en désordre. Il était magnifique. Il l'avait toujours été. Il n'avait rien dit pendant mon analyse, s'offrant simplement à mon regard.

Je m'apprêtais à me détourner de lui quand il s'était approché d'un pas. Je m'étais figé. Un deuxième pas. J'avais croisé mes bras sur mon torse. Un troisième pas. Mon regard avait rencontré le sien. Un sourire était né sur ses lèvres alors qu'il ébouriffait mes cheveux. Il devait tendre le bras, désormais. J'étais devenu plus grand que lui l'été précédent et cinq centimètres devaient maintenant nous séparer. Ce n'était pas beaucoup, c'était suffisant pour l'obliger à lever les yeux pour pouvoir plonger dans les miens.

« Je suis certain que tu vas faire de grandes choses, là-bas ». Tu ne peux pas le savoir. « Nick dit que tu as beaucoup de talent. » Tu aurais dû en juger par toi-même durant toutes ses années. « Je veux te voir danser, moi aussi ». C'est trop tard pour ça, je pars dans une demi-heure. « Le gamin devient un homme. » Je ne suis pas un gamin. « Tu es peut-être plus grand que moi maintenant, mais tu restes le gamin qui nous collait aux basques. » Le gamin t'emmerde.

Il n'en avait pas fallu plus pour m'énerver. Je n'étais plus ce stupide gamin amoureux sans le savoir. Je n'avais plus rien à voir avec lui. Je n'étais plus naïf même si mes sentiments n'avaient pas changé. Cette fois, c'est moi qui avais fait un pas, mes bras toujours croisés étant la seule séparation entre nos corps. J'avais dit « je ne suis plus un gamin depuis longtemps, Elijah » et « si tu avais un minimum de bon sens, tu l'aurais déjà remarqué. » Il n'avait pas ri.

Il n'avait pas prononcé un mot. J'avais envie de lui voler un nouveau baiser, là, dans ma chambre d'enfance, mais je savais que c'était mal. Alors j'avais tenté de le supplier du regard de m'en accorder un. De s'approcher et de prendre possession de mes lèvres. Il n'avait pas semblé le comprendre. Je m'étais alors détourné de lui, j'avais attrapé ma valise et j'avais quitté ma chambre. Il n'avait pas vu ce que je lui avais montré. Il n'avait pas lu dans mon cœur à travers mes yeux. Il n'en serait probablement jamais capable.

Je m'étais souvent demandé pourquoi il avait fallu que ce soit lui. Depuis que j'étais en âge pour, personne n'avait attiré mon attention mis à part lui. Il était temps que les choses changent. Je n'allais pas rester célibataire toute ma vie dans l'espoir qu'il me remarque. Je n'allais pas rester puceau jusqu'à ce qu'il daigne m'accorder son attention. C'était trop tard. Il était temps que j'avance pour créer la vie de mes rêves. Que ce soit avec ou sans lui.

Alors que je mettais ma valise dans le coffre, il me regardait du pas de la porte. Alors que j'enlaçais ma mère pour lui dire au revoir, il restait silencieux. Alors que je lui adressais un signe de tête en guise d'au revoir, il ne bougeait pas. J'aurais donné beaucoup de choses pour qu'il s'approche de moi et qu'il m'enlace, qu'il m'embrasse. Ce n'était que des rêves que je laissais derrière moi. D'autres avaient pris leur place et ceux-là, je comptais bien les réaliser.

J'étais monté sur le siège conducteur, je leur avais adressé un dernier signe de la main et je m'étais élancé sur la route qui s'ouvrait à moi. Seul l'avenir avait de l'importance, désormais. Je savais que j'étais incapable de tirer un trait sur les sentiments que j'éprouvais pour Elijah, mais ça n'allait pas m'empêcher de vivre. J'allais simplement les ranger dans la case des souvenirs jusqu'à l'été suivant et que j'apprenne à les gérer. Une nouvelle vie s'ouvrait à moi et il n'était pas question que je la gâche.

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