Rholalaaa... elle fait sa chochotte !

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Olivia

Vous êtes-vous déjà senti seul ?
Moi je me sens seule.
Je veux dire... ce n'est pas que je n'ai personne. Mais je me sens seule justement parce que j'ai des gens sur qui compter, mais je ne le fais pas; pas parce que je ne veux pas: je ne peux juste pas.
Je me sens seule parce que je voudrais rire à l'extérieur et vraiment ressentir la joie à l'intérieur, mais ils ne voient tous que ce que je veux montrer — un sourire radieux, des blagues à dormir debout et un caractère très enjoué. Ils ne voient qu'une façade de moi. Ils ne comprennent pas. Ils ne peuvent pas comprendre. C'est pour ça que je ne peux pas compter sur eux. Même si je sais qu'au fond, c'est leur intention que je puisse le faire. Et moi, je leur fait croire que c'est le cas.

Trop philosophique ? Je trouve aussi...

mon problème, c'est simplement que je ne sais pas où le retrouver, le rêve d'une vie heureuse, depuis qu'il m'a tourné le dos et que la réalité m'a mise à terre alors que je n'étais qu'une adolescente en devenir.

Je venais d'avoir treize ans, ça faisait exactement deux mois. Le bonheur sifflotait des airs de cha-cha-cha sous un ciel piqué d'étoiles et le monde se préparait à accueillir la nouvelle année avec autant d'impatience que d'enthousiasme. Et comme à chaque réveillon du nouvel an, toute la famille était réunie autour d'un grand buffet que les femmes avaient concocté. Cette année là, les parents avaient décidé que l'on attendrait le premier janvier chez Tata Flore, la sœur aînée à ma mère. Nous y étions tous. Endimanchés, festifs et gourmands.
J'étais avec mon petit frère, mes cousins et cousines; nous nous amusions près du diffuseur de parfum, se laissant aller au rythme de la musique pendant que les adultes discutaient et buvaient autour de la table.
Une bonne ambiance, de la musique, de la nourriture, de la boisson, les rires des gens qu'on aime... je n'avais besoin de rien de plus, là. J'étais loin d'imaginer qu'il fallait souvent moins d'une heure à toute cette mascarade, pour vous montrer à quel point votre existence n'en est qu'une misérable parmi tant d'autres.
Lorsque les douze coups de minuit se firent entendre, un tsunami de voix synchronisées laissa résonner un « BONNE ANNÉE !» géant.
Câlins et bisous, mêlés à des morceaux de paroles douces — des vœux — se pointèrent au rendez-vous.
Les premières personnes vers qui mes pensées se dirigèrent furent mes parents. Je remerciais le ciel de m'avoir permis une année de plus avec ces deux gens formidables à mes côtés. Je les aime, mes parents!
J'allai vers eux, tenant Marvin, mon jeune frère par la main. Et on s'enlaça tous les quatre pendant un long moment. Il aurait dû durer éternellement, ce moment.
Ma mère, cette sirène née d'un roseau d'eau douce dont le sourire chocolaté avait le don de me rassurer même quand je m'apprêtais à vivre la pire des tortures — avaler des médicaments — sentait bon la lavande et l'amande douce : c'était son eau de parfum. Les larmes me montèrent aux yeux lorsque j'entendis cette dernière dire: « Je vous aime, mes enfants. » Ça alors, c'était si formel! Je crois que c'était la première fois que j'écoutais maman nous le dire sérieusement. D'habitude on ne se le disait pas directement, c'était plus... comment dire... ironique. Mais bon, il y a une première fois à tout, non? Oups, pardon... je voulais dire dernière.
Moins d'une heure plus tard, nous étions rentrés à la maison. C'était peut-être la fête, mais il fallait bien qu'on dorme.

Ce premier janvier, je n'avais pas été réveillée par le lever du soleil, mais par l'affolement des gens à l'autre bout du couloir — dans la chambre de mes parents.
J'avançais lentement, ce genre d'attroupement ne présage généralement rien de bon. Et de plus, cela n'était jamais arrivé chez nous. J'avais peur de ce que je pouvais découvrir en y allant brusquement, j'avais peur de ne pas pouvoir avoir le temps d'encaisser le choc, s'il fallait en envisager un.
Mon père avait appelé de l'aide, personne ne comprenait ce qui s'était exactement passé. Et moi encore moins lorsque je vis le corps inanimé et raide de ma mère allongé sur le lit.

Puis plus rien. Je ne me souviens plus de rien après ça. Apparemment je me suis évanouie, je ne sais pas, c'est ce que les gens disent. Mais moi je pense que mon cerveau a juste lui-même compris que c'était peut-être mieux pour moi de m'en aller au même moment, alors il s'est éteint. Dommage qu'ils avaient pu me réanimer.

Empoisonnement.

Ils ont accusé mon père, soit disant avoir plusieurs preuves accablantes contre lui. Ils l'ont enfermé.
On attend tous le procès — qui n'est même pas encore prêt de se tenir.

Mon frère et moi avons été placés sous la garde de ma Tante Aude, la mère de Rachel.

Je faisais la fille forte, qui pouvait tout encaisser et continuer à vivre quand-même. Je faisais semblant de pouvoir m'accrocher. Mais à quoi? Et puis un jour j'ai craqué. J'ai essayé de me faire écraser par une voiture à la sortie des classes. Lorsqu'ils ont voulu me faire passer pour une dingue, j'ai juré que je ne l'avais pas fait exprès et je les ai convaincu. Moins de deux mois plus tard, ma tante m'a surprise entrain de me couper avec une lame de rasoir dans la salle de bain. C'est là qu'elle m'a obligé à voir un psy pendant un an. Ma santé mentale commençait à aller mieux, puis j'ai fait une anorexie et j'ai failli en mourir. Ensuite on a déménagé, tata Aude a jugé que ce serait mieux pour nous tous de laisser nos fantômes dans cette ville et d'essayer de se reconstruire ailleurs.
OElle a sans doute eu raison, le fait de changer de ville m'a plus aidé que je ne l'aurais cru: j'ai arrêté d'aller chez le psy, je me suis fait de nouveaux amis qui ne savent rien de tout ça et je me suis juré de ne plus en reparler. Même si ça a pris beaucoup de temps, j'ai su m'adapter.

Mais aujourd'hui, je me rends compte que ce n'est pas en recouvrant une plaie qu'on la soigne. Au contraire, plus on l'étouffe et plus elle s'infecte... jusqu'à nous créer une gangrène.

INSAISISSABLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant