Pluvieuse

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Olivia

L'orage faisait rage, le bruit que déposaient les gouttes de pluie sur le toit de la voiture ressemblait à des hurlements. La route était désormais habillée d'un panache immense qui empêchait toute possibilité de voir ne serait-ce que dix mètres plus loin. Tout était devenu flou dans les alentours. Le ciel grondait à en faire peur un quinquagénaire endurci et les nuages pleuraient des torrents. Et dans tout ça une seule pensée me tourmentait : « je n'avais pas de parapluie. »
À côté de moi dans le bus, deux femmes discutaient.

— ah ben ça alors, j'étais loin de prévoir cette pluie.

— à qui le dites-vous ! Il me semblait pourtant que la soirée se poursuivrait avec le même soleil ardent que tout à l'heure.

— décidément, on ne peut jamais se fier au climat de cette ville !

Elles avaient bien raison. J'étais encore chez Andie lorsque le ciel a commencé à s'assombrir. Mavis s'en est allée plus tôt — apparemment chez elle le retard n'est pas bien toléré. Et encore plus tôt dans la journée on aurait dit qu'on était en plein été, tellement il faisait chaud, mais maintenant c'est la déprime totale.

Lorsque le véhicule s'arrêta pour me laisser descendre, je pris une grande inspiration avant d'ouvrir la portière et me lancer sous les cordes d'eau qui descendaient avec l'intensité la plus féroce.
Oh mon Dieu !
J'avais l'impression de me faire assommer par des cailloux aigus et froids. Je courrais aussi vite que je pouvais en essayant de protéger au maximum mon sac de classe. Et lorsque j'arrivai enfin à bon port, je trouvai la porte de l'appartement fermée à clé.
« Et merde! »
J'avais oublié de prendre le double de mes clés ce matin, et inutile de préciser qu'entre madame malchance et moi il s'agit d'une histoire d'amour sans fin : Rachel n'était pas encore rentrée.
Je restai donc sur la véranda. Au moins là j'étais déjà à l'abri de la pluie, c'était le plus important.

Après environ une heure à poireauter devant la porte, je décidai d'appeler Rachel pour lui expliquer ma situation pittoresque — façon de lui demander de se magner. Mais elle ne prît aucun de mes appels.
« Argh... sûrement à un de ses cours de comptabilité pendant lesquels les portables sont interdits. » Songeai-je.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, monsieur le fameux voisin fît son apparition ! Il m'observait à travers les bâtants entrouverts d'une fenêtre — qui après déduction devait être celle de sa cuisine. Il faisait des va-et-vient avec une tasse à la main; et chaque fois qu'il passait devant la fenêtre, ne manquait pas de laisser un regard à mon intention.
Je suis navrée mais là, le moment n'était vraiment pas propice pour le jeu de romance. J'étais trempée, j'avais froid, j'avais faim et je commençais à me mettre en rogne.
Alors j'eus ce que j'ai l'habitude d'appeler une "révélation idiote"; c'est lorsque tout à coup j'ai une idée par rapport à une chose à laquelle j'aurais pourtant dû penser avant tout: « la porte de derrière ! »
Je me ruai une fois de plus sous la pluie qui continuait de tomber avec ferveur. Et en me précipitant sur le gazon mouillé, compte tenu de ma maladresse légendaire aussi, je glissai et m'affalai disgracieusement parterre.
« Aouch ! »
Je regardai aussitôt en direction de Yoahn, celui-ci éclata de rire sans gêne. Holala ! J'eus envie de me désintégrer et de disparaître en même temps que les gouttes d'eau qui s'effaçaient en percutant le sol. Ça alors, j'avais honte. Pourtant s'en fichant complètement de mon embarras, mon voisin riait de plus belle. Je le vis même nettoyer une larme au coin de son œil gauche.
J'étais assise parterre et je le regardais se moquer de moi. Il avait l'air de prendre un réel plaisir à me voir dans ce lamentable état apparemment. Mais plus il riait, plus je le trouvais beau, et plus j'avais envie de rire moi aussi.
Mes lèvres commencèrent par s'étirer en un sourire que je tentais de retenir avec peine en me les mordant, puis mon envie prît le dessus et je pouffai sans contenance. Nous riions désormais tous les deux, bien qu'à distance. Et malgré le fait que j'étais couverte de boue et frigorifiée sous la pluie, je me sentais étrangement bien.

Une fois à l'intérieur, j'ai pris une bonne douche bien chaude puis je me suis engouffrée dans ma couette.
Tout à coup je pensai à mon ami Victorien. Nous étions voisins ces deux dernières années, et nous nous sommes beaucoup attachés l'un à l'autre. Enfin, j'avoue qu'il m'a un peu couru après au début mais bon, je le trouvais drôle; en plus j'avais trouvé quelqu'un avec qui faire le trajet à pieds souvent en rentrant du lycée. Un sacré beau gosse, Victorien. Toutes les filles du quartier lui couraient après. Mais lui n'aimait que ses cahiers, ses bandes dessinées et sa guitare. Il était toujours premier de sa classe; pour un intello, il en était un. J'aimais beaucoup l'entendre chanter, il n'avait pas une aussi belle voix que Justin Timberlake, mais il était apaisant, quand besoin s'y présentait. Il adorait reprendre les chansons des chanteurs romantiques américains; ceux qui parlaient d'amour et de tristesse, et de tristesse en amour. Ça nous est arrivé de flirter à un moment, une courte période pendant laquelle nous étions probablement trop nostalgiques tous les deux, au point de penser qu'il pouvait se passer quelque chose de "romantique" entre nous. Nous avions même échangé un baiser, et c'est justement après ce dernier que nous sommes arrivés à la conclusion réciproque qu'il valait mieux que l'on reste amis. Et contrairement à ce qu'on aurait pu penser, nous sommes restés aussi complices qu'avant, j'irais même jusqu'à dire que notre amitié s'est renforcée. Après l'obtention de son baccalauréat, il est allé étudier l'astronomie à trois cent kilomètres environ de la ville. Et moi, ben je suis venue ici, rejoindre Rachel et étudier le droit, à la capitale.
En parlant de Rachel... j'avais mon téléphone en main et je m'apprêtais à lancer un appel vidéo à Victorien, mais je me retrouvai plutôt entrain de composer le numéro de ma cousine. L'assombrissement nocturne avait presque recouvert tout le ciel, je ne pense pas qu'elle était censée finir aussi tard.
Les tonalités raisonnaient à l'autre bout du fil, et se coupaient toujours par une voix féminine qui répétait : « désolée, vôtre correspondant n'est pas joignable pour l'instant, veuillez rappeler ultérieurement. » Je commençai à m'inquiéter. Je réessayai une fois, deux fois, trois fois, et à la quatrième quelqu'un décrocha, mais ce n'était pas Rachel.

INSAISISSABLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant