Liv pour les intimes

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Olivia

Depuis que Rachel est rentrée de l'hôpital, je la mets au petit soin. Je lui fais à manger, je repasse ses vêtements, et j'ai même fait le ménage dans sa chambre. Elle va bien mais elle se sent toujours un peu fatiguée, même si au fond ça l'écœure que je fasse tout ça pour elle — elle n'a jamais aimé être gâtée, ma cousine. Cette attitude est pourtant très ironique, car étant la seule fille de ses parents — vous savez ce qu'on dit: « enfant unique, enfant gâté » — elle avait tout pour être une petite peste. Déjà, ses parents ne sont pas de ce qu'on pourrait appeler une classe sociale "moyenne", Sa mère est cadre dans un organisme international et son père est un homme d'affaires réputé. Depuis petite elle vit dans l'aisance et le soin le plus désiré par n'importe quel enfant, et l'attention que ses parents lui portent, même maintenant qu'elle est une jeune adulte, est quasi maladive. Elle est une "fille à papa" à l'origine, mais cela ne l'a pas empêché de devenir la femme gentille et généreuse qu'elle est. Je me rappelle que même enfant, c'était déjà ma cousine préférée car elle avait plein de jouets dont elle ne voulait pas, elle disait qu'elle en avait déjà assez, mais que ses parents continuaient de lui en offrir des tonnes alors qu'elle ne demandait rien; et donc, elle me les donnait. C'était la même chose pour les vêtements et parfois des chaussures aussi. Étant plus grande que moi, dès que quelque chose ne lui allait plus, j'en étais la bénéficiaire incontestée. Et puis lorsque Marvin et moi avons été accueillis chez tata Flore après le drame, c'était comme si nous avions enfin trouvé l'une en l'autre, la sœur tant désirée. Nous étions inséparables... jusqu'à ce qu'elle ait son baccalauréat un an avant moi et emménage ici.
C'est une personne formidable Rachel, et je culpabilise beaucoup de lui avoir caché que Yoahn est venu prendre de ses nouvelles. Je ne lui ai pas dit qu'il était passé et encore moins que nous avons bavardé pendant plus de deux heures en plein milieu de la nuit. Le pire, c'est que je n'ai même pas l'intention de lui en parler. Je pense qu'elle le prendrait... mal ? Je ne sais pas trop pourquoi, mais quelque chose au fond de moi m'empêche de lui dire quoique ce soit à ce sujet.

— tu es une brave femme dis donc ! Je n'arrive toujours pas à réaliser que tu sois restée seule dans cet appart pendant trois jours et que tout soit toujours en bon état, et même plus en ordre que d'habitude !

— arrête avec ton sarcasme, ça fout les boules, répliquai-je.

Elle sourît en secouant la tête.

— sérieusement. Tu as mieux géré que je ne le pensais, je me disais qu'à défaut d'un incendie, je retrouverais la maison complètement inondée.

— tu exagères, soufflai-je en penchant la tête, les bras croisés sous ma poitrine.

— vraiment ? Non, je n'exagère pas, toi et moi connaissons bien les exploits de tes deux mains gauches, sans parler de tes deux pieds gauches. En fait tout est maladroit chez toi.

Elle éclata de rire tandis que je masquais un sourire sous un air faussement offensé.

— le frigo s'est vidé, je vais faire les courses, lançai-je.

— on y va.

— non. Interdiction de conduire pour le moment, je prendrai un taxi.

— mais qu'est-ce que tu racontes ? J'ai conduit en revenant de l'hôpital.

— c'était nécessaire. Là, ça ne l'est pas.

— dans ce cas prenons le taxi alors.

— pas question, je prends le taxi et je vais faire les courses. Toi, tu restes là et tu te reposes.

Elle leva les yeux au ciel en râlant comme une gamine à qui on refuse des friandises.

— je ne vais pas mettre long, tu as besoin de quelque chose en plus?

— non c'est bon.

Elle s'arrêta un instant, l'air pensive, puis leva son indexe comme pour faire une remarque.

— en fait si, reprît-elle. Si tu pouvais me ramener un grand pot de glace à la pistache s'il te plaît, ce serait sympa.

— pff... grosse goinfre.

Elle lança un coussin que je me pris en pleine face, je lui rendis la pareille puis sortis de la pièce en trombe en lui tirant la langue.

***

J'étais au rayon frais, mes yeux faisaient comme scanner chaque légume, j'ai cette manie de toujours rechercher la perfection sur tout ce que j'achète pour ne pas avoir à regretter plus tard — je déteste ce sentiment. Je suis ce genre de personne qui ferait tout un drame pour une seule trace d'une autre couleur que violette sur une aubergine.
J'avançais tout doucement devant le festival de couleurs que représentaient les étagères essentiellement remplies de fruits et légumes de toute sorte, mon regard toujours vivement plongé dans ceux-ci et mon bras soutenant un panier qui ne contenait que trois briques de lait pour l'instant, quand mon buste heurta quelque chose de ferme qui me barrait maintenant la vue: quelqu'un m'etait rentré dedans.

— oh, pardon... murmurai-je en essayant de passer sur le côté pour continuer mon chemin.

Mais je sentis une main m'agripper l'épaule puis je me retournai et découvrai avec étonnement le visage de la personne que je venais de tamponner : c'était le garçon hautin qui avait partagé le même banc qu'Andie et moi le premier jour de cours.
Ça alors, pour un hasard, ç'en est un.

— je crois que je t'ai déjà vue, toi, non? Articula t'il.

Je haussai les sourcils en ouvrant la bouche, comme si je me pressais de trouver les mots adéquats pour répondre.

— hem... ouais. Ouais, on s'est déjà vus. À l'université, premier jour, tâtonnai-je.

Je faisais des gestes désordonnés avec mes mains, c'est une mimique fréquente chez moi, souvent ça donne l'impression que je suis stressée alors que je cherche simplement à organiser les paroles dans ma bouche telles qu'elles sont dans mon cerveau.

— c'est vrai, acquiesça t'il avant d'afficher un sourire radieux.

Woahou ! Ce n'est pas comme ça que je me souvenais de lui, dans mes pensées il était moins pétillant que ça... ah oui, bien moins !

— je m'appelle Stéphane.

Il me tendît sa main, je restai statique quelques secondes avant de la serrer dans la mienne et lui rendre son sourire.

— Olivia... Liv pour les intimes.

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