Chapitre 5

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Jelaifait jelaifait jelaifait !!! Oh, PUTAIN ! Je n'arrive pas à réaliser que je l'ai fait.

D'un autre côté, si je vous affirmais que je l'ai fait, me croiriez-vous ? Non ? Ce serait légitime de votre part. Et pourtant ! Je l'ai fait ! Mais puisque je vous le dis !

Je me pince pour la centième fois successive, histoire d'être bien sûr. Mais mon bras endolori n'a pas changé d'avis depuis tout à l'heure. Non, ce n'est pas un rêve. Bon sang !

Maintenant, elle est là, à l'intérieur du restaurant, et elle m'attend. Elle m'attend MOI, et non je ne sais quel gros naze au corps sculpté qui amasse les conquêtes aussi facilement que je gâche méticuleusement les opportunités.

Je l'aperçois par la porte vitrée, assise à une table pour deux, dans le fond de la pièce. J'avais pourtant pris soin de ne pas arriver trop en retard. Quelle ponctualité ! Encore une qualité à mettre à son actif, parmi une foultitude d'autres, malheureusement trop nombreuses pour être énumérées avec exhaustivité.

Comme d'habitude, elle rayonne de sa beauté si singulière. Pour l'occasion, elle porte une longue robe verte qui met parfaitement en valeur ses sublimes yeux émeraude. Je ne me soucie guère des apparats, d'une manière générale, mais je dois bien avouer que son léger rouge à lèvres appliqué avec savoir et dextérité ne me laisse pas de marbre.

Argh ! Et moi qui me pointe en simple jean / t-shirt. Voyons le bon côté des choses : pas de cachotteries ou de faux-semblants, elle saura directement à quoi s'attendre. Un mec spontané et honnête pas vraiment adepte des fioritures sociales qui nous font perdre du temps inutilement et éloignent de la vérité de l'existence. Autrement dit, un flemmard pathologique. Et puis, je suis honteusement fier de mon t-shirt panda. Il y a un panda dessus, il est trop mignon.

Comment en suis-je arrivé là ? Je me souviens encore de la scène comme si c'était hier. D'ailleurs, c'était hier. Dans le tram. Un vendredi soir. Par conséquent, j'étais bourré. Mais qu'on ne me dise pas que l'alcool est un problème, car c'est une solution. C'est en effet grâce à lui que j'ai trouvé le courage d'aller la saluer, de lui taper la bise puis d'articuler plus ou moins distinctement ces romantiques paroles :

- Hey, dis, je t'apprécie beaucoup mademoiselle, ça te dirait de se faire une bouffe un de ces quatre ? (en fait, je ne me rappelle plus des détails exacts de notre discussion, mais le sens du message a globalement été conservé)

Ce à quoi elle rétorqua, à mon immense surprise :

- Ce serait fantastique ! Tu veux aller où ?

Je bouscule la porte de l'établissement à la manière d'un cow-boy qui entre dans son saloon de prédilection, paré à succomber aux délices de l'Happy Hour. Ne manquent que le crachoir et le bruit des éperons.

Cunégonde me remarque et m'adresse un coucou de la main, un sourire enjôleur dévoilant ses dents d'une blancheur impeccable.

Je m'approche. Elle se lève pour m'embrasser. Ses deux baisers résonnent avec insistance sur chacune de mes joues. Elle me caresse le bras. Ça semble plutôt bien parti.

- Je pense que tu as déjà étudié la carte ?, lui glissé-je.

Elle rigole. Tout en bavardant, nous nous approchons de la caisse afin de commander.

- Ce sera quoi, Messieurs-Dames ?

- Un Happy Meal avec hamburger, frites et bière, et un Big Mac en supplément.

Ma rousse adorée glousse bruyamment. Vous étonnerais-je en confessant que j'adore son rire ?

Je n'aime pas trop qu'on se foute de la gueule de mes choix gastronomiques, cela dit. Mais je prends sa réaction avec humour.

- La même chose pour moi, s'il vous plaît.

Elle aime le houblon et les jouets. Deux autres points extrêmement recherchés chez un ou une partenaire de vie.

Une fois servis, nous allons nous rasseoir à notre table, dépourvue de bougies et de confettis, mais l'état d'esprit y est.

Puis nous papotons, de tout et de rien, de nos amis communs, de musique, de littérature, de séries télés. Ça me semble maintenant si naturel ! Comment ai-je pu être un jour effrayé par cette âme si douce, si passionnante, si intelligente ? À l'occasion de nombreuses soirées, nous avons échangé quelques paroles, mais là... c'est différent. Ce n'est plus de la simple politesse, mais par réel intérêt, par envie de nous découvrir l'un l'autre. Plus les mots s'écoulent de ses lèvres, tel autant de ruisseaux apaisants aux glouglous flirtant avec l'ASMR, plus j'ai besoin de la connaître sous toutes les coutures.

Le temps s'égrène à une vitesse folle, la lune remplace le soleil et des étoiles surgissent sur la toile céleste. Une employée vient courtoisement nous demander de déguerpir afin qu'elle puisse rentrer chez elle se reposer pour une autre journée d'esclavage.

Je saisis délicatement mon amie par la main et nous sortons. Nous continuons de dialoguer sans interruption pendant un long moment.

Jusqu'à cet instant où, sans crier gare, elle me plaque contre le mur et se met à m'embrasser.

D'abord, tout doucement, comme si elle avait peur de me casser. Puis, de plus en plus fougueusement, avec quelquefois des positions de langue assez exotiques. Tiens, d'ailleurs, je me demande pourquoi personne n'a jamais pensé à écrire un Kamasutra du bécot ? Il se ferait certainement de la thune. J'ai comme l'impression d'être passif, mais, pour être franc, c'est très loin de me déplaire.

Je ne sais pas à quoi les autres - les gens normaux - ont l'habitude de songer en ces situations de pure extase, quand on met pour la première fois en contact ses lèvres avec celles de l'être tant désiré. Peut-être fantasment-ils leur avenir commun, de la même manière qu'on voit (soi-disant) son passé défiler devant ses yeux avant de mourir. Une relation épanouie, un beau mariage en blanc, une lune de miel à la plage sous un ciel bleu azur, des marmots, voire un chiot, pour les plus aventureux. Ou une licorne. J'ai toujours rêvé d'avoir une licorne familiale. Nous irions nous promener dans la forêt sur son dos le dimanche avec nos deux enfants, et elle ferait des cacas arc-en-ciel comestibles au parfum de myrtille dont nous nous délecterions au goûter.

Mais, actuellement, ce qui me préoccupe, c'est surtout la lutte intense que j'ai engagée contre mon propre corps ; énoncé plus clairement

NE - PAS - BANDER.

Oui, c'est con, on n'y pense pas beaucoup, mais il s'agit d'une réaction physiologique finalement assez naturelle et banale quand une jolie demoiselle (ou un joli damoiseau, selon les goûts de tout un chacun) vient se frotter langoureusement contre un jeune mâle en pleine force de l'âge... d'autant plus s'il est en état de manque gravement avancé comme tel est mon cas.

Cependant, bien que mécanique et dénué de toute originalité, un tel comportement érectile risquerait d'être considéré comme impoli voire prématuré par ma chère dulcinée, et menacerait de ruiner irrémédiablement l'ambiance merveilleusement romantique que nous nous sommes évertué à installer depuis le début de notre rencard. Ce qui me rendrait pour le moins tristounet.

Par conséquent... Vite, se concentrer sur un truc dégueu.

Ma voisine de 80 ans sans sa perruque. Des endives au jambon. Le caniche nain dépoilé de ma voisine de 80 ans. Le cadeau sorti tout droit de mes petites fesses roses laissé en souvenir sur le bureau de mon dernier patron, juste après qu'il m'ait annoncé ma "démission surprise". Un ornithorynque.

J'ai réussi à maîtriser la situation, mais au détriment de mon implication dans notre activité de roulage de pelle, semble-t-il. Cunégonde me jette un regard sombre. Entendons-nous bien : sombre, non dans le sens de "courroucé", mais de "toutes pupilles dilatées". Bref, un regard plutôt... HOT. Je me suis fait capter, je crois.

Elle me susurre quelque chose au creux de l'oreille qui a tôt fait d'annuler mes efforts précédents, et nous nous éloignons à pas rapides.

Ce que nous fîmes le reste de la soirée n'est pas dit dans la chanson.

[Roman] Comment monter sa propre secte dans son jardin ?Where stories live. Discover now