Chapitre 11

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Voici quelques mois que le livre est "sorti".

Entre guillemets car, comme cela était à prévoir, aucune maison d'édition sérieuse n'a voulu de notre texte. J'ai même reçu une lettre d'insulte d'un éditeur furibond me conseillant avec "toute son amitié" de "me tirer une balle plutôt que de lui faire perdre son temps avec ce ramassis de conneries". Franchement, les gens sont d'une vulgarité consternante ! Je suis absolument outré par un tel manque de bienséance et de diplomatie, surtout venant de la part d'un membre estimable de l'univers sélectif de la Culture. Enfin, c'est ce que j'écris à mes fans, car, pour être vraiment honnête, je me tamponne l'oreille avec une babouche de ce que pense ce gros sac à merde embourgeoisé.

Afin de contourner la censure d'une élite trop fermée d'esprit pour saisir la portée de notre message, voire totalement effrayée par sa puissance subversive (défense de rire !), nous nous sommes tournés vers l'auto-édition. Autrement dit, nous imprimons et commercialisons nous-mêmes nos oeuvres, sans profiter du réseau de distribution, de la médiatisation et des contacts qu'apporterait un canal de diffusion plus traditionnel. Autant dire que nous ne vendons pas grand chose.

Nous tenons aussi une chronique de blog, où nous distillons savamment notre propagande entre deux articles commentant - un peu démagogiquement - l'actualité. Écrire ce que la population veut lire, répéter en boucle ce qui va de soi, hurler ce que tout le monde est censé penser tout bas... c'est la base du métier de politicien. En n'allant jamais au fond de la réflexion car, là, évidemment, ça entraînerait plus de divergences que les poncifs et autres lieux communs.

Nous essayons de ne pas être trop cash, trop insistants, mais de noyer subtilement quelques concepts à nous dans le flux d'information, qui mèneront petit à petit le lecteur à vouloir en savoir plus.

Outre servir de vitrine officielle au bouquin, l'objectif est aussi de montrer notre dynamisme - avantage marketing non négligeable par rapport aux auteurs morts depuis plusieurs siècles ! -, de tisser des liens avec la communauté en échangeant directement avec elle, de fidéliser le client et de le pousser à partager avec ses amis dans la vraie vie ou sur les réseaux sociaux.

C'est fou ce qu'il y a comme timbrés sur le web, quand même. Pas plus que dans la réalité, mais cette facilité à pouvoir tous s'exprimer sur un pied d'égalité amplifie la voix de ceux qui tiennent les discours les plus délirants, et qui ne sont pas d'origine les moins bavards. Ni les plus réticents à créer d'innombrables faux profils, abreuvant le maximum de sites de leurs commentaires simplistes pour créer une impression factice de masse.

En conséquence, même si les gogols naïfs forment notre coeur de cible, nous avons pour principe de virer systématiquement les mecs aux accointances trop louches. Nous purgeons sauvagement avec une ardeur que le grand Staline n'aurait pas reniée lorsque c'est nécessaire, et la liste de liens de notre blog est totalement irréprochable. Entre autres, nous envoyons chier bien profondément complotistes, racistes, religieux intégristes et autres nationalistes en constante recherche de public pour leurs simagrées. Notre volonté est de relever le niveau, pas d'apporter une pelle additionnelle pour creuser. Malgré cette éthique, des fois, je regrette d'avoir mis les pieds dans ce milieu répugnant qu'est la manipulation des faibles d'esprit.

Heureusement, le bilan est encourageant. Pour ce dernier mois : cinq-mille pages affichées. Pas mal. Et seulement mille fois moins d'ouvrages vendus. Bof.

Pourtant, la couverture est jolie. Déjà, parce qu'il y a ma photo dessus. Je suis tellement bogoss, si vous saviez. Ensuite, parce qu'elle est également ornée d'un magnifique dessin réalisé par... moi-même. Oui ! Je me suis remis à dessiner !

Vous connaissez peut-être l'histoire de Django Reinhardt. Guitariste tsigane hautement brûlé à la main dans un incendie de roulotte, celui-ci a été obligé de développer une technique adaptée à son infirmité pour continuer à jouer. Son style particulier a fait de nombreux adeptes, tant et si bien qu'il a fini par donner naissance à un nouveau genre de musique : le jazz manouche.

[Roman] Comment monter sa propre secte dans son jardin ?Where stories live. Discover now