Chapitre 19

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Quatre heures du matin. Paris. Une boîte chic dont vous n'avez pas besoin de connaître le nom, puisque vous ne pourrez jamais y foutre ne serait-ce qu'un ongle de doigt de pied. Carré VIP, bien entendu.

Les murs rouge grenadine de la salle flambant neuve vibrent au rythme des boom boom de la musique électro. Des couples officiels ou plus éphémères s'enlacent et se démènent dans des postures invraisemblablement érotiques. Quelques serveuses en tenue légère se faufilent laborieusement entre les danseurs afin de proposer des en-cas sophistiqués ou des coupes de champagne. Hé : V-I-P, qu'on vous dit.

Un dernier tek paf pour la route. Je caresse doucement le postérieur de ma fiancée s'enjaillant sur le dancefloor, et m'en vais évacuer ce qui doit l'être au petit coin. Sans oublier de tituber comme tout gentleman qui se respecte après avoir ingurgité beaucoup trop de verres d'alcool.

J'ouvre la porte desdits WC, me positionne face à l'urinoir, les jambes légèrement écartées, ouvre ma braguette, sors le monstre, et commence à soulager ma vessie. Naturellement, en prenant soin de ne pas en mettre à côté. Question de respect, vous savez. Bon, le respect est difficile, à trois grammes.

Enfin un peu de calme. Ça sent le vomi, la weed crapotée en cachette et les rapports sexuels non protégés sur un bout de chiottes, mais, après cette avalanche de sons plus tonitruants les uns que les autres, mes tympans sont aux anges. Namasté.

Petit jet timide, suivi d'un ruissellement plus honorable. Bien joué, chef, t'es le meilleur. Cependant, la satisfaction n'est que de courte durée.

* BAAAAAM *

- SALOPE, grommelle une voix éméchée, probablement à l'attention de la porte qui vient de claquer.

Un des aspects étonnants de la société humaine réside en sa faculté à s'organiser de manière spontanée.
Notamment, il existe une règle tacite, entre gens bien éduqués, qui énonce qu'on doit laisser une pissotière de libre entre deux messieurs nourrissant le désir ardent de s'épancher.
Il y a aussi les mecs qui s'en battent la nouille, et le gus qui vient de brandir la sienne à trente centimètres de moi semble bien faire partie de cette catégorie.
De surcroît, il me fixe un peu trop à mon goût. Je me concentre sur ma propre affaire, pour finir le plus vite possible. Pousse, pousse ! Mais c'est que j'en ai avalé, des litres de boisson.

- Hey mais j'te connais toi !, jette le glauque individu.

Super.

- Mon gars mais j't'ai vu à la télé ce soir ! T'as fait du bon boulot !

Ah, enfin terminé. Je range le matos bien au chaud en éludant les dernières gouttes, avec la solide intention de m'enfuir au plus tôt.

- Et toi, tu me reconnais pas ?

Mais c'est qui, ce type dégueulasse ?

- Gregorio. Gregorio Bolosovitch. On est collègues, toi et moi.

T'es sérieux, c'est un nom, ça ? Il me tend sa main droite. Merci mais non merci, pas sans une double paire de gants en latex.

- En fait, on est concurrents, plutôt, continue-t-il.

Des lunettes noires, une barbichette bien taillée, un corps athlétique, le tout affublé d'un costume de créateur hors de prix semblant vous réclamer de l'argent rien que pour le fait de l'avoir regardé. Il a un certain charisme, si on exclut son état pitoyable, ses basses manières et sa conception de l'hygiène visiblement assez libre.
Après réflexion, sa tête me dit quelque chose.

- Vous êtes également scienfitique... scientfifi... scientifique ?, demandé-je avec la grâce d'un mec presque pas bourré.

- Pas à moi, p'tit, m'prends pô pour un con. Einstein, c'est un scientifique. Tesla, c'est un scientifique. Toi et moi, on est des charlatans.

[Roman] Comment monter sa propre secte dans son jardin ?Where stories live. Discover now