Chapitre 1- Ava

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— Ava ! N'oublie pas de remuer la soupe !

— Oui tante Annie ! Soupiré-je en m'exécutant.

Je n'ai jamais eu de chance dans ma vie. Plus de parents, ni frère, ni sœur, plus de boulot, pas de petit ami. Je suis, à bientôt 25 ans, la fille que l'on n'ose plus inviter de peur qu'elle finisse par casser l'ambiance avec ses problèmes. C'est pour cette raison que je me retrouve ici, en Bretagne, à vivre au crochet d'une vieille tante qui, oh joie, avait besoin d'une aide à domicile pour l'aider dans sa grande maison. Dans sa grande gratitude, elle avait aussitôt pensé à moi. Cette pauvre petite Ava qui avait besoin d'argent et d'un toit sur la tête, ça la dépannerait le temps qu'elle retrouve un emploi. Pff, tu parles... Comme si je pouvais offrir mes services de naturopathe dans ce bled perdu. Malgré la forêt de Brocéliande à deux pas, je me suis vite aperçu que les médecins et pharmaciens de la région se méfiait comme de la peste de ceux qui arrivaient avec un savoir à l'opposé du leur. Ici, les remèdes de bonnes femmes n'avaient pas leur place et l'idée d'ouvrir mon cabinet dans le village m'était très vite passée. Quelle déception ! Vivre dans un pays de fées et d'enchanteurs et ne pas pouvoir pratiquer la médecine douce me déprimait... Alors, je rongeais mon frein. Pendant mes moments de liberté, je partais explorer la lande bretonne pour ramasser des herbes médicinales, sans jamais oser m'aventurer dans la forêt. L'idée de croiser le fantôme d'un chevalier ou une bête sauvage ne m'enchantait pas vraiment. Et mon imagination débordante ne m'aidait pas à relativiser. Il faut dire que mes parents m'en avaient raconté des histoires sur cette forêt soi-disant magique. Des légendes où les humains côtoyaient les loups, un monde parallèle au nôtre, dont les portes ne s'ouvraient qu'en récitant une berceuse vieille de plusieurs siècles. Mon père me la chantait pour m'endormir, donnant une note plus réelle à ces récits imaginaires.

Un coup sur ma tête me fait sursauter et revenir à la réalité.

— Vas-tu donc cesser de rêvasser ? Regarde, le potage est en train de bouillir, petite sotte !

Depuis deux mois que je vivais sous son toit, je cherchais tous les jours la moindre ressemblance avec maman. En vain. Rien chez cette femme ne me rappelait ma mère. De taille moyenne, la silhouette aussi sèche que son cœur, des yeux noirs qui vous jugeaient sans la moindre empathie, ma tante était à l'opposé de sa sœur. Heureusement, chaque matin, je redécouvrais ses traits dans les miens lorsque je me regardais dans le miroir de la salle de bain. Je possédais sa longue chevelure flamboyante et indomptable, le même petit nez et les pommettes un peu ronde. Mes yeux étaient de la même couleur que ceux de mon père, noisettes avec des dizaines de pépites dorées dans les iris. Ils me manquaient. Terriblement. Je vivais à Paris lorsqu'ils avaient disparu, trois ans auparavant. J'avais quitté le cocon familial situé sur l'ile de Batz depuis quelques années déjà. L'endroit étant certes dépaysant, mais d'un ennui mortel pour une jeune fille de 18 ans, en quête d'aventure. Le jour de leur disparition, ils avaient voulu rejoindre Brocéliande pour rendre visite à ma tante. Ils n'étaient jamais arrivés. Personne ne savait ce qu'il s'était passé. J'étais dévastée... Et c'est là que ma vie est partie en sucette. La collaboratrice avec qui je tenais ma boutique d'herboristerie s'était mise dans la tête de se taper mon fiancé. Fiancé, qui n'a pas beaucoup résister, je dois dire. Notre collaboration étant compromise, je lui avais revendu mes parts de la boutique et refiler en même temps mon mec infidèle. Seul bémol, le mec susnommé possédait l'appartement dans lequel nous vivions, j'avais donc dû déguerpir manu militari. Voilà comment, je me retrouve à touiller de la soupe de légumes en prenant des coups sur la tête par ma vieille tante aigrie qui, en fait n'est pas si vieille que ça.

— Après diner, j'aimerais que tu ailles promener Paddy, voilà un moment qu'il ne s'est pas dégourdi les pattes.

Je grimace. Paddy est le vieux chien puant de ma tante. Cet animal, doit se rouler dans, je ne sais quoi pour sentir aussi mauvais et pour couronner le tout, il me déteste et n'obéit jamais.

— Il va encore me faire courir à travers la lande. Grommelé-je en prenant place à table.

— Et bien, ça te fera du bien. Et puis le soleil se couche plus tard désormais, tu auras tout le loisir d'en profiter.

Nous mangeons dans un silence quasi-religieux seulement interrompu par le son de la radio et des informations diffusées.

Ma vie est à chier...

Entre deuxWhere stories live. Discover now