Chapitre 4 - Ava et Max

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AVA

Ça ne peut plus durer... Je ne dors plus depuis des jours. À chaque fois que je ferme les yeux, le regard si expressif de ce loup gris vient hanter mes rêves, et j'entends toujours ce leitmotiv incessant.

« Ava, Ava, Ava... »

Les pierres m'appellent, j'en suis persuadée. Mais comment expliquer que j'ai cette étrange sensation ? Des menhirs, ce n'est pas VIVANT ! J'ai essayé d'interroger ma tante sur les légendes autour du cercle de Brocéliande, mais elle m'a bien fait comprendre que ce genre d'histoire était plutôt la passion de ma mère et non la sienne. Alors j'ai fait ce que toute femme moderne aurait fait à ma place, j'ai consulté le moteur de recherche de mon smartphone.

Au bout de plusieurs heures de prospection et de réponses plus ou moins rocambolesques, je suis tombée sur un site sur les mythes et légendes celtiques où un témoignage parlait de la même expérience que moi. L'homme se promenait dans la forêt près du cercle de menhirs, lorsque le vent s'était soudain levé et qu'un loup était apparu devant lui. Mais contrairement à ma propre expérience, le loup était bien là et avait pris la fuite. Par contre, rien en lien avec la berceuse de mes parents...

Chaque jour, mes pas m'emmènent à l'orée de la forêt où je n'ose pas m'aventurer. Je m'assois dans l'herbe quelques instants, je respire l'air rempli de l'odeur de mousse et d'écorce, je tends l'oreille guettant le chant des oiseaux et leurs battements d'ailes, espérant entendre le chant d'un loup qui ne vient pas. Puis, lorsque l'humidité du sol pénètre mes vêtements, je me relève, ramasse quelques plantes puis retourne à la maison.

Je ne sais plus quoi penser de tout ça. En fait, je pourrais retourner là-bas. Oui, je pourrais y retourner...

Je chanterai le premier couplet de la berceuse et j'attendrai de voir ce qu'il se passe... Bon sang, j'ai la trouille, mais la curiosité est trop forte.

Je dois y aller.

Alors que je termine la vaisselle du midi, je jette un rapide coup d'œil à tante Annie endormie sur le canapé. Au son de ses ronflements, j'estime que sa sieste devrait durer au moins deux ou trois heures. Largement suffisant pour me rendre aux menhirs puis revenir sans avoir à justifier mon absence.

Ma décision est prise, je balance l'éponge dans l'évier et me dépêche d'enfiler mes vieilles baskets et mon gros gilet par-dessus ma robe en laine. J'attrape mon sac et prends aussitôt le chemin de la forêt.

Je marche d'un pas rapide jusqu'à la lisière des arbres et marque un temps d'arrêt devant le chemin qui s'enfonce entre eux. Une légère brise soulève mes cheveux que j'ai laissé libre dans mon dos.

"Ava, Ava..."

Encore cette litanie.

Le cœur battant, j'avance lentement entre les grands chênes, à l'affût du moindre bruit non identifié ou de l'apparition d'un animal susceptible de vouloir me bouffer.

Quand finalement, je parviens au cercle, je pousse un profond soupir de soulagement et m'appuie sur le grand menhir pour rassembler mes esprits.

Regardant autour de moi, je m'aperçois que le lieu est baigné d'une lueur aux nuances d'or et d'orange. Les rayons du soleil pénètrent à travers les arbres créant des faisceaux de lumière entre chaque menhir où des milliers de particules de poussière volent en formant un voile arachnéen. Là, maintenant, je sens toute la magie qui irradie du lieu. C'est évident.

Doucement, je commence à chantonner, mes mains posées bien à plat sur la roche dans mon dos pour me rassurer.

Dès que ma voix s'élève, je sens le vent se lever et s'intensifier au fur et à mesure que la berceuse progresse dans son histoire. Des picotements parcourent mon corps et mon estomac se contracte au bord de la nausée.

J'essaie de bouger, mais mon corps semble vouloir fusionner avec le menhir sur lequel je suis appuyée. Mon cœur s'affole et mon souffle se fait haletant. Je crois percevoir une présence à quelques mètres de moi. Je voudrais crier, mais aucun son ne parvient à sortir de mes lèvres. Au loin, j'entends toujours qu'on m'appelle "Ava, Ava..."

Puis, à bout de force, je cesse de lutter et m'évanouis.

                                                                                                 ***

MAX

Duncan avait raison. Les rebelles sont bien aux abords du cercle. Nous sommes postés ici depuis trois jours et trois nuits et nous avons déjà neutralisé deux loups solitaires qui rôdaient près des menhirs. Après les avoir interrogés, nous avons découvert qu'ils tentaient de passer de l'autre côté pour retrouver le frère de Roderick et l'assassiner. Ces loups renégats veulent être certain que plus personne ne pourra les asservir. Pour le moment, aucun d'entre eux n'a pu traverser. Si leur détermination n'est plus à prouver, ils leur manquent un élément essentiel. Ils ne connaissent pas la berceuse qui réveille le cercle, c'est pour cette raison qu'ils doivent attendre.

Cependant, rien ne se passe. Pas de vent soudain, pas de feuilles mortes qui s'affolent. Rien. J'en viens à me demander si je n'ai pas rêvé de tout ce qu'il s'est passé ici. Pourtant, nous attendons. Nous nous sommes donnés encore quelques jours avant de laisser tomber. Il est de toute façon hors de question que j'octroie plus de temps à mon frère. Il pourrait prendre ça pour de la soumission.

Alors que je songe sérieusement à reprendre la route, le vent se lève soudain faisant bouger le tissu de la tente dans laquelle je me suis réfugié. M'extirpant aussitôt de mon abri, je découvre un corps allongé près de l'un des menhirs, entouré d'une brume épaisse. L'atmosphère autour de nous se charge d'électricité et mes deux compagnons reprennent leur forme de loup en entendant des grondements hostiles autour de nous. J'ai juste le temps de m'approcher du corps inanimé avant qu'une ombre massive ne nous saute dessus, nous faisant rouler en dehors du cercle. Me relevant à la hâte, j'aperçois un loup traverser le portail et déjà, je dois repousser l'attaque de deux autres, tout en protégeant celle que j'ai reconnu comme étant la jeune femme de l'autre jour. L'un des renégats tente aussitôt de me mordre à la gorge, mais c'est sans compter sur ma force brute bien que je ne sois pas transformé. Je le saisis au niveau du poitrail et serre aussi fort que je le peux pour lui briser les côtes. L'animal se débat, mais je ne lâche pas prise et un glapissement m'indique que ma technique a fonctionné. Le loup s'écroule alors que son acolyte s'enfuit pourchassé par les hommes de Duncan.

Le vent s'arrête aussi vite qu'il s'est levé et la brume s'estompe à nos pieds. Le chant des oiseaux résonne à nouveau entre les arbres. Tout semble à nouveau normal, comme si rien ne s'était passé.

Entre deuxWhere stories live. Discover now