Chapitre 2

30 4 0
                                    

Et voilà, ça commence. À peine sortis du jardin, que ce chien de malheur préfère suivre le chemin vers la forêt plutôt que celui vers la lande. J'ai à peine le temps d'enfiler mon manteau en laine et de passer ma sacoche en travers de ma poitrine qu'il est déjà à plusieurs mètres. Je n'ai pas d'autre choix que de le suivre au pas de course pour ne pas me faire distancer. De toute façon, cette bestiole n'en fait qu'à sa tête ! Aboyant contre des ennemis invisibles, l'animal revient à mes côtés et se met à tourner autour de moi, tentant de me mordiller les mollets à travers mon jean. Je lève les yeux au ciel d'exaspération et me retiens de ne pas lui coller un coup de pied aux fesses pour l'éloigner de mes jambes. Depuis mon arrivée, ce chien me hait et refuse de me laisser le caresser, je le soupçonne même d'essayer de me faire tomber en se couchant systématiquement près de mes pieds lorsque je ne le vois pas. Soudain, Paddy se met à détaler entre les arbres en aboyant me laissant en plan à l'entrée de la forêt.

— Paddy ! Reviens ici !!

Je me mets à courir derrière lui en criant son nom, guidée par ses aboiements réguliers au loin.

Ce chien veut me perdre dans les bois, c'est sûr. Il va s'éloigner, puis lorsque nous serons assez enfoncés entre les arbres, il filera vers la maison en me laissant seule. J'ai beau essayer de tenir la distance, je commence à fatiguer et dois m'arrêter quelques secondes pour reprendre mon souffle. Je ne sais pas vraiment où je me trouve. Les arbres immenses me cachent la lumière du jour et une légère brume recouvre le sol jonché de feuilles mortes. Je m'aperçois que Paddy a cessé d'aboyer et qu'un silence pesant a pris sa place. Serrant un peu plus mon manteau contre moi, je m'avance doucement en continuant à héler le chien, mais seuls les battements d'ailes d'un oiseau quelconque me répondent.

Je commence à flipper, grave. Je ne sais pas où je suis et les histoires que mes parents me racontaient lorsque j'étais petite fille, refont surface.

Je pourrais parfaitement me perdre et ne plus jamais retrouver mon chemin.

J'en suis là de mes réflexions lorsque j'aperçois au loin une espèce de pierre allongée en position verticale.

— Cette maudite bestiole a dû se rendre là-bas pour pisser contre le caillou. Marmonné-je en prenant sa direction.

Je suis à deux doigts de l'abandonner. Si dans deux secondes, je ne retrouve pas ce maudit chien, je rebrousse chemin ! Plus je m'enfonce dans la forêt, plus l'ambiance des lieux se fait lourde et un frisson parcourt mon échine lorsque je finis par déboucher dans une clairière entourée de huit menhirs formant un cercle parfait. Je repense aussitôt à la légende que mon père me contait lorsque j'étais petite et je commence à murmurer les paroles de la berceuse qu'il me chantait.

— Les Korrigans jouaient dans les fougères.

Les jeunes loups chassent dans les clairières.

Un vieux hibou sous la lune se tait.

Dors, petit enfant, dors

Les soldats de pierre veillent sur ton sommeil.

Dors, petit enfant, dors

Tu auras des matins de soleil et de miel.

Écoute le vent, c'est le chant des géants qui s'éveillent...

Alors que je prononce les dernières paroles du refrain, une bourrasque fait s'envoler mes cheveux et tourbillonner les feuilles mortes autour de moi. Au loin, les hurlements d'un loup me font sursauter et mon cœur commence à s'affoler dans ma poitrine.

Que se passe-t-il ?

— Paddy ! Viens ici, maintenant !

Je recule d'un pas alors que j'ai l'étrange impression que les menhirs chuchotent mon prénom comme une litanie.

— Ava... Ava... Ava...

Repoussant les mèches de cheveux que le vent pousse sur mon visage, je crois distinguer l'ombre d'un chien à l'orée de la clairière et me dirige vers celui-ci en pestant.

— Maudit chien, quand je vais t'attraper, tu vas passer un sale quart d'heure !

J'entends alors un grondement qui n'a rien à voir avec les grognements habituels de cette vieille bestiole. Je stoppe net mon avancée en m'accrochant à mon sac.

— Paddy ?

Une silhouette grise et massive apparaît près du grand menhir. L'animal n'est pas un chien, c'est certain. Plus grand, des yeux dorés m'observant avec intelligence, le museau légèrement plus allongé, une musculature qui laisse deviner une vie au grand air, la bête soulève ses babines où je devine des crocs acérés.

Putain ! Un loup !

Faisant aussitôt volte-face, je me mets à courir aussi vite que je peux. Tant pis pour le chien, à l'heure qu'il est, il a probablement fini dans l'estomac de ce monstre à quatre pattes !

Gardant un rythme effréné jusqu'à la lisière de la forêt, je stoppe ma fuite au moment où la silhouette d'un animal me coupe la route, me propulsant sur le sol caillouteux.

Dans un cri, je crois ma dernière heure arrivée lorsque je sens une vive douleur au mollet me faisant jeter un œil à mon agresseur.

— Paddy ! Dieu merci, c'est toi !

Repoussant le vieux chien d'un léger coup de pied, je me relève en époussetant mon jean taché de terre.

— Tante Annie va se demander ce qui m'est arrivé. Constaté-je en regardant mes mains écorchées. Tu l'as vu, toi aussi, le chien ?

Pour seule réponse, Paddy me tourne le dos et se met à trottiner vers la maison sans un regard en arrière.

Observant les ombres dans la forêt, je tente de trouver une explication plausible à ma rencontre de ce soir.

Peut-être ne s'agissait-il pas d'un loup après tout. Paddy aurait pu se trouver là et avec le vent et les feuilles autour de moi, j'aurais très bien pu me tromper. Que ferait un loup en plein Brocéliande ?

Réprimant un frisson, je me dépêche de rentrer à la maison où pour la première fois depuis mon arrivée, je retrouve un semblant de sérénité... 

Entre deuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant