Chapitre 3 - Max

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Le vent s'arrête brusquement et l'atmosphère électrique qui régnait dans la clairière a disparu avec la rouquine. C'est la première fois que je vois ce phénomène se produire. Les légendes contées aux jeunes loups de la meute parlaient bien d'apparitions autour du cercle de menhir, mais comme tous les contes pour enfants, je n'avais jamais donné de crédit à ces sornettes. Du moins jusqu'à ce soir. Les feuilles s'étaient mises d'un coup à tournoyer dans la forêt, l'air avait pris l'odeur de la mousse après un orage et les oiseaux s'étaient arrêtés de chanter. Le phénomène m'avait stoppé dans ma quête d'une proie et j'avais vu la femme. Là, debout devant le grand menhir, aussi surprise que je pouvais l'être à me trouver devant elle dans ce lieu étrange. La première chose que j'ai remarquée, c'est son absence d'odeur, comme si elle n'était pas vraiment dans cette forêt. Puis en l'observant plus attentivement, je l'ai trouvé belle. Ses cheveux décoiffés volant autour de son visage, sa silhouette menue cachée par un gros manteau en laine ayant vécu des jours meilleurs, tout chez elle avait réveillé en moi quelque chose d'enfoui depuis des années. Je voulais la voir de plus près, essayer de la respirer pour tenter de m'imprégner de son odeur. Je me suis alors approché prudemment du menhir pour ne pas l'effrayer, mais une minute après, elle prenait la fuite sans un regard en arrière. Le vent s'était alors arrêté brusquement, comme dans un rêve.

Je me rends compte que ce phénomène est loin d'être anodin et qu'il me faut prévenir le clan, même si remettre les pieds chez moi après ces longs mois d'absence ne m'enchante pas vraiment. Je me suis affranchi de la meute pour ne pas avoir de compte à rendre, mais malgré tout, je lui reste attaché.

Il me faut trois jours pour me rendre au château. J'ai demandé à Duncan, l'Alpha du clan Tavish de m'accorder une audience en urgence.

— Alors petit frère, quelle est donc cette affaire si urgente pour que tu demandes à être entendu de manière officielle après une si longue absence ?

Assis au bout d'une longue table de conférence entouré de ses deux plus proches conseillers, mon aîné d'à peine, un an, me regarde avec curiosité.

— Il s'est passé quelque chose au cercle de pierres.

Duncan me scrute le visage impassible.

— Et ?

— Et bien, j'ai cru entendre les paroles d'une berceuse, c'était comme un murmure. Je me suis tout de suite souvenu des légendes que notre mère nous contait lorsque nous étions enfants. Tout s'est passé de la même façon. Le vent s'est levé subitement faisant voler les feuilles mortes autour des menhirs, l'air s'est chargé d'électricité et les odeurs de la forêt se sont faites plus intenses. Et je l'ai vu.

Duncan se redresse légèrement sur sa chaise.

— Qui as-tu vu ?

— Une femme. Rousse. Assez jeune. Je crois... Je crois qu'elle me voyait, elle aussi.

Mon frère reste silencieux un instant, une expression indéchiffrable sur le visage. Pourtant, il ne semble pas surpris par mon récit.

— Que te rappelles-tu des légendes, Maxence ?

Je fronce les sourcils. En général, Duncan ne m'appelle jamais par mon prénom en entier.

— Ce que maman nous a raconté. L'histoire d'une berceuse qui permet aux loups de voyager entre deux mondes grâce au pouvoir du cercle de menhirs.

Il approuve en croisant les mains sur sa poitrine.

— Toutes ces histoires sont vraies, Max. Il y a, depuis toujours, des loups qui voyagent entre notre monde et un autre. Certains reviennent, d'autres pas.

Je dois sans doute avoir l'air d'un ahuri en l'entendant, car il se met à éclater de rire.

— Ne fais pas cette tête-là, petit frère, ce n'est pas non plus une autoroute magique, hein. La plupart des métamorphes ayant décidé de passer de l'autre côté ne sont jamais revenus. La dernière histoire date d'environ trois ans. Un humain du village voisin au cercle a vu le même phénomène dont tu as été témoin, mais il n'a vu personne traversé. On ne sait pas si celui ou celle qui a ouvert le portail est entré ou sorti de notre côté.

Je m'assois, sonné par cette nouvelle.

— Cette fille serait donc l'une des nôtres. Présumé-je en réfléchissant à toute vitesse.

— Probablement.

— Ce que je ne comprends pas, c'est qu'elle n'avait pas l'air de savoir ce qui se passait, elle semblait aussi surprise que moi et elle a fui quand elle a vu que je l'observais.

Duncan se lève et vient me donner une tape sur l'épaule.

— Alors, quelqu'un lui a appris cette berceuse et elle ne devait probablement pas savoir ce que ça impliquait de la réciter près des menhirs. En tout cas, si elle est des nôtres, le cercle la rappellera et nous devons nous tenir prêts. Depuis la disparition du clan Fitzgérald, la région du cercle est dangereuse. De nombreux loups dissidents rôdent dans le coin et ils ne doivent pas réussir à traverser.

— Tu crois qu'ils profiteraient du portail ?

— C'est certain. Ces loups n'ont plus d'Alpha depuis la mort de Roderick et ils ont refusé de porter allégeance à une autre meute. Ils sont dangereux et incontrôlables. Si l'un d'entre eux passait de l'autre côté, imagine les conséquences. Tu dois retourner là-bas, Max, et sécuriser le cercle.

Je me lève pour lui faire face.

— Je ne suis pas l'un de tes loups, Duncan. Je n'ai pas d'ordres à recevoir de toi.

— C'est bon, ne monte pas sur tes grands chevaux. Je te demande ça comme un service. De frère à frère. Si ces loups rôdent et que cette fille rouvre le cercle, elle finira dans leur estomac... De nombreux loups dissidents rôdent dans le coin et ils ne doivent pas réussir à traverser.

Je serre les poings en imaginant très bien le sort que les rebelles lui réserveraient. Ces métamorphes sont totalement hors de contrôle. J'en ai croisé quelques-uns lors de mes voyages et les agressions sur des humains sont monnaie courante chez eux. Comme le viol.

— Je vais avoir besoin d'au moins deux de tes hommes pour m'accompagner. Finis-je par dire. Si je devais les affronter, je ne ferais pas le poids tout seul.

Il approuve en me prenant affectueusement par les épaules.

— Si cette fille est l'une des nôtres, ramène-la ici. Dans le cas contraire, je te fais confiance pour lui foutre une trouille qui l'empêchera de s'approcher à nouveau des menhirs.

Il m'entraine vers la sortie et m'invite à le suivre dans le grand salon où sont regroupés les membres les plus proches de son clan.

— Maintenant, allons boire un verre, et pendant que tu me raconteras tes aventures, je tenterais à nouveau de te convaincre de rejoindre la meute, petit frère.

Je lève les yeux au ciel parfaitement conscient que Duncan ne me lâchera pas encore cette fois-ci.

J'avais choisi cette vie et elle me convenait parfaitement, mais pour mon frère, les loups solitaires s'apparentaient à des rebelles dangereux et hors de contrôle. Et ce qui le dérangeait certainement le plus, c'était de ne pas connaître mes pensées. En tant qu'Alpha, il avait cette compétence de pouvoir deviner les sentiments des membres de sa meute. C'était un bon moyen pour contrecarrer un éventuel complot et éliminer ses détracteurs. Duncan n'était pas du genre à faire preuve de clémence lorsque sa vie ou celle de ses proches était menacé.

Nous nous installons sur l'un des grands canapés de la pièce où deux femelles nous rejoignent aussitôt pour venir se lover contre l'Alpha.

Je réprime une grimace lorsque l'une d'entre elles vient se coller à moi et la repousse gentiment. J'avoue ne pas avoir la tête à ce genre d'occupation pour le moment, contrairement à Duncan qui s'empare de la bouche de l'une des deux avec brusquerie et se met à la caresser avec avidité.

Me levant pour leur laisser le loisir de se peloter, je me réfugie dans un coin du salon après m'être servi une bonne rasade de whisky, laissant mon esprit voyager jusqu'à cette inconnue de l'autre côté du miroir...

Entre deuxWhere stories live. Discover now