12| Double Jeu...

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Il sourit puis ferme la porte et quitte les lieux. Me voilà face au monde.

Je m'avance en direction de l'entrée de l'établissement en veillant à bien garder les yeux rivés au sol, de peur de croiser ceux de quelqu'un que je redoute. Mes larmes sont séchées et oubliées, et je regrette d'avoir laissé mes sentiments me submerger et prendre possession du contrôle que j'exerce en permanence en dissimulant mon mal être intérieur.

Lorsque Conrad est sorti du car sans un mot, j'ai voulu lui courir après pour lui donner quelques explications que je lui devaient... Mais à quoi bon? Que pouvais-je lui dire? Que j'ai simplement la rage, la haine, de ne pas pouvoir vivre plus longtemps que ce que j'espérais? Je ne peux faire semblant d'être une personne que je ne suis pas, je ne suis pas d'accord avec mon destin, jamais je n'ai prétendu accepter ce qu'il m'arrivait. Ça serait faux. Je hais le cancer. Je hais ma vie.

J'arrive à mon casier sans avoir été prise d'assaut pour une fois par Brad et Brittany; est-ce grâce à l'irruption de Conrad la dernière fois? Si c'est le cas je lui en serai reconnaissante toute ma vie... ou ce qu'il en reste.

J'ose espérer avoir raison parce que je ne pense pas être assez forte aujourd'hui pour gérer une de leurs méchancetés.

*

Je n'ai pas croisé Conrad de la matinée, car si nous ne nous voyons pas en cours de bio, je ne le vois jamais dans les couloirs non plus. Je me demande ce qu'il peut bien faire entre les cours et pendant les recréations... Sûrement des trucs pas très catholiques avec des filles.

J'ignore pourquoi mais cette hypothèse me dérange, c'est pourquoi je préfère penser à autre chose. Conrad me fait ressentir des choses qui m'étaient étrangères il y a encore quelques semaines, je surprends mon cœur à battre plus vite lorsqu'il est dans les parages, à bégayer sans aucune raison apparente... ou encore à me réchauffer intérieurement. En somme, tout ce que j'ai repoussé ces dernières années tente de refaire surface. Tout ce que j'ai refusé de vivre par prétexte de ne pas désirer un quelconque attachement me rattrape en triple puissance et je me retrouve seule face à moi-même. Car si j'étais assez forte, je l'aurais repoussé encore jusqu'à qu'il se lasse de tenter de faire ami-ami avec moi -si c'est bien ce qu'il désire sincèrement.

Je soupire d'accablement en m'emparant d'un plateau que je fais glisser sur les barres métalliques du self. Le moment le plus redoutable de la journée est sur le point d'arriver, je vais prendre place comme de coutume à une table au fond de la cantine, seule étant donné qu'Emilie mange désormais avec son nouveau petit-ami. La solitude n'est pas en soi quelque chose qui me dérange, ça me plait d'être seule parfois, sauf qu'ici, "seul" rime avec bizutage. C'est pourquoi je traverse le plus rapidement l'immense pièce jusqu'à atteindre ma table attitrée, celle de la Coincée.

Mes yeux étant fixés au sol je n'ai pas eu l'opportunité de croiser ceux de Conrad, pourtant quelque chose en moi aurait désiré le voir. Je repousse ces pensées incongrues et dépose mon plateau sur la table en m'asseyant. Et dire que je devrais être en train de profiter de ma dernière année... me voilà angoissée comme jamais de ce qu'il pourrait m'arriver.

Je picore à une lenteur déprimante, je mentirais en prétendant avoir faim. En fait le peu d'appétit que j'aurais pu avoir a été annihilé par mes pensées macabres, celles entre autres de m'imaginer mourir dan un lit d'hôpital, avec une blancheur cadavérique et un corps aussi charnu qu'un bout de bois. Penser à ça me donne des nausées.

Je repousse mon plateau avec une grimace de dégoût et bois une grande gorgée d'eau. Ça fait passer mon malaise, mais à mon grand regret seulement pour un court instant, car à peine ai-je reposé mon verre sur la table que Brittany, Brad, leur bande et Conrad apparaissent à l'entrée de la pièce. Mes yeux s'écarquillent malgré moi et je me précipite de me lever et d'aller ranger mon plateau.

365 jours avec toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant