ERALDIOR - Volume 2 - Le Voyage de l'Étoile d'Arden

Chapitre 5 : Les Baltos (II)

Une vague se brisa sur le rocher où s'était installée Flora. Elle bondit en arrière, trop tard. L'eau laissa une traînée de gouttelettes froides sur son pantalon. Elle frotta la toile comme si cela pouvait effacer les traces humides sur le tissu. Tant pis. Ses longs cheveux d'un blond presque blanc flottaient sur la grisaille du ciel, emmêlés et libres. Un rire joyeux attira son attention. Dans l'eau jusqu'à la poitrine, Lou lui faisait de grands signes.

– Tu devrais venir !

Le visage de Flo se fendit d'un sourire discret. Malgré la température de l'eau, il serait si facile de sauter dans les vagues, de tout oublier, quelques instants, à s'éclabousser comme des enfants... Sa main se posa instinctivement sur son abdomen. Son amusement se fana.

– Merci, mais non merci. On sait toutes les deux que tu supportes bien mieux l'eau froide que moi.

– Mmm, frileuse, répondit la Gardienne de l'Eau.

Une vague arrivait droit sur elle ; elle y plongea toute entière. L'eau s'illumina d'un bleu vif. Lou émergea des flots une bonne dizaine de mètres plus loin. Elle n'avait gardé qu'une chemise sans manches avant d'aller se baigner. Des gouttes pleuvaient de ses mèches brunes sur ses épaules nues. Malgré elle, Flo frissonna. Lou replongea et en quelques secondes, elle reparut juste à côté de son rocher, où la mer lui arrivait à la taille.

Une longue queue de poisson d'un turquoise lumineux avait remplacé ses jambes. Le regard émerveillé de Flo s'attarda sur les reflets azurés qui donnaient à ses écailles des allures de joyaux. Elle se souviendrait toujours de la première fois où elle l'avait vue ainsi.

Quand Flora l'avait rencontrée, Louskya insistait toujours pour ne pas se baigner avec elle, prétextant tour à tour qu'elle ne nageait pas bien, ou que l'eau froide la rendait sujette aux fluxions de poitrine. Cela n'avait pas froissé la Gardienne de l'Air. Elle trouvait même cela arrangeant ; elle aussi fuyait les baignades. Personne ne devait voir les marques sur sa peau... Partout où elles voyageaient, elles faisaient leur toilette à tour de rôle, dans des ruisseaux peu profonds, sans jamais s'attarder. Et cela leur convenait très bien.

Jusqu'à cette nuit-là. Incapable de trouver le sommeil, Flo avait marché jusqu'au lac où elles avaient installé leur campement. Elle devait avoir treize ans, peut-être un peu plus. Elle s'était assise sur la rive, dans la quiétude des roseaux qui résonnaient du croassement des grenouilles. La nuit était claire et fraîche, parfumée de printemps. Et c'était là qu'elle l'avait vue.

Dans la clarté des étoiles, Louskya nageait dans l'eau noire, son visage renversé en arrière, offert au croissant de lune qui lui souriait depuis le ciel. Sa nageoire étincelait à chaque fois qu'elle crevait la surface.

Lou lui avait expliqué, plus tard, que comme la plupart des Iliens, ses ancêtres étaient des sirènes. La première Gardienne de l'Eau, Naïa, reine d'Ildréa, s'était éprise du prince d'un royaume aquatique au large de son île. Leur amour avait unifié les fils de la terre et ceux de la mer ; les sirènes avaient cessé de vivre cachées, pour peupler les côtes Iliennes aux côtés des humains. Naïa avait donné le jour à une fille, Ildris, dotée du pouvoir de Nausicaël et du don du peuple de l'Eau. Des millénaires plus tard, la famille de Louskya n'était plus qu'une lointaine branche parente des souverains d'Ildréa, mais le don de transformation coulait toujours dans ses veines...

Flora se souvenait du visage livide de Lou lorsqu'elle l'avait aperçue sur la rive. De ses yeux agrandis de crainte.

– Tu vas fuir, toi aussi ?

Sa question avait dérouté Flo.

– Pourquoi je fuirais ?

Lou avait secoué ses boucles d'ébène toutes trempées, le regard fuyant.