Chapitre 10 : Le Léviathan (II)

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La magie de la Terre s'engouffra en Lou avec la puissance d'une avalanche. Elle connaissait déjà ces sensations, l'odeur de sous-bois, la souplesse de la terre rendue meuble par la pluie au printemps, les racines agiles qui s'infiltraient dans les interstices les plus étroits, la solidité de la roche qui constituait l'écorce du monde et maintenait chaque chose à sa place. Pourtant, quelque chose était différent. Il y avait dans ce contact une familiarité qui dépassait le souvenir de cette première fois, à Nervos. Comme un écho des ruisseaux cachés dans le cœur des forêts... Avant que Lou ne comprenne d'où lui venait cette impression, la sensation d'un pouvoir neuf et grisant déferla dans ses veines, chassant la fatigue qui engourdissait ses membres.

La main toujours fermement agrippée à la sienne, Selena tomba à genoux et frappa le sol de son autre paume. Lou accompagna son mouvement. Une vague d'énergie turquoise s'échappa de leurs corps et fusa autour d'elles jusqu'aux confins du cratère. Sur son passage, les remous et les tourbillons s'effaçaient à la surface de l'eau, comme gommés par une main invisible. Le Léviathan émit un cri rauque lorsque la vague lumineuse glissa sur son corps écailleux. Déconcerté par cette nouveauté, il ralentit l'allure.

Autour de l'île, l'eau s'était mise à bouillonner. Lentement, une masse colossale de liquide s'éleva dans les airs. On aurait dit un gigantesque animal qui s'extirpait d'un marécage, à mesure que sa silhouette limpide se libérait des eaux noires et épaisses. Des nageoires s'ébauchèrent, et avec elles des écailles, des vibrisses, une crinière translucide et majestueuse. Des larmes embuèrent les yeux de Lou alors que la créature achevait d'apparaître. Toute de glace et d'eau claire, sillonnée par les veines étincelantes des pouvoirs conjugués de Rhaë et de Nausicaël. La silhouette glorieuse de Thalaskélión tourna la tête vers Lou. Le dragon cligna des paupières. Il était encore plus grand que lorsqu'il l'avait quittée pour la dernière fois.


Je ne suis jamais parti, fille de Nausicaël.


Et même s'il n'était pas vraiment là, avec elle, elle sut qu'il disait vrai. Il faisait partie d'elle, comme elle faisait partie de l'océan.

Répondant à l'appel de la magie, le dragon d'eau plongea en avant, droit sur le Léviathan. Son corps transparent s'enroula autour de celui du serpent marin, dans une étreinte puissante et implacable, une étreinte qui mimait à la fois l'amour et la fureur. Le monstre de Mor hurla en retour, en tentant de toutes ses forces de frapper et de mordre l'intrus qui l'attaquait. Mais ses crochets n'avaient pas de prise sur lui. En perçant la glace de ses écailles, ils ne rencontraient que de l'eau.

De longs faisceaux aquatiques jaillirent du corps du dragon pour s'enrouler toujours plus étroitement autour du Léviathan. Celui-ci émit un sifflement étouffé, presque comme une supplique. Il tenta de s'échapper en se tortillant pour déséquilibrer son assaillant, en vain. Étroitement enlacés, les deux monstres marins décrivaient une danse furieuse autour de l'ilot central, dans des gerbes d'écume et d'eau noire. Chaque fois que leurs corps ricochaient à la surface, le Léviathan émettait un nouveau cri sinistre. Les dents de Thalaskélión se refermèrent autour de sa gorge. Leur pression sur les écailles du monstre les faisait crisser comme de la craie sur une ardoise. Même si les crocs de glace du dragon n'étaient pas assez puissants pour lui briser le cou, le monstre de Mor ne pouvait plus bouger la tête. Ses pupilles se dilatèrent. Avec un dernier grognement essoufflé, il cessa de lutter, pour se laisser flotter mollement à la surface. Son haleine pestilentielle projetait des nuées de fines gouttelettes dans l'atmosphère.

Au sommet de son crâne, il y eut un crépitement violet. Cramponnés aux écailles acérées de sa nuque, Lyanna et Relan venaient d'apparaître, trempés et haletants.

ERALDIOR - Volume 2 - Le Voyage de l'Étoile d'ArdenTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang