ERALDIOR - Volume 2 - Le Voyage de l'Étoile d'Arden

Chapitre 15 : Le visage de l'ennemi

Le temps resta au beau fixe le lendemain, mais au troisième jour de vol, des nuages épais assombrirent le ciel. Le vent forcit, et bientôt la neige se mit à tomber. Elle alourdit les branches des sapins, gomma les aspérités des éperons rocheux et le peu de couleurs qui restait dans le paysage, conférant aux montagnes une beauté singulière et figée. Whyn fit signe au reste du groupe de se poser dans une clairière, à mi-pente du mont le plus proche. La forêt s'était changée en un monde de cristal. Les sapins, avec leurs troncs immenses et raides à l'écorce encroûtée de blanc, leur donnaient l'impression d'avoir atterri entre les colonnes d'un temple à ciel ouvert. Dans cet univers monochrome, on n'entendait rien d'autre que le chuintement feutré des flocons qui tombaient sans fin, bercés par le vent du nord-ouest.

– La visibilité est trop mauvaise là-haut. On devrait continuer à pied jusqu'à la nuit.

– Je pourrais essayer de calmer les chutes de neige, intervint Lou, et si Flo pousse les nuages dans une autre direction...

– C'est trop imprudent, déclara Whyn.

Il jeta un coup d'œil nerveux dans les environs comme s'il s'attendait à voir un intrus surgir de derrière une congère.

– Nous sommes trop proches de Farnën. On pourrait nous repérer.

Selena et Lyanna froncèrent les sourcils sans comprendre.

– Quand nous étions à Salamarth... Les chefs de Clans nous ont rapporté des nouvelles préoccupantes, expliqua Flo. Le clan Freyhild a reçu un faucon envoyé par leurs patrouilleuses qui surveillaient cette région il y a quelques jours. Le message signalait une activité anormale des Héranits autour de l'ancien fort de Farnën. Les patrouilleuses disaient qu'elles allaient tenter d'infiltrer le fort pour y mettre un terme, mais la cheffe de Clan n'a reçu aucune nouvelle depuis.

– Vous croyez qu'elles se sont fait prendre ? demanda Rox.

– C'est possible. Nous n'avons aucun moyen de le savoir, ni de deviner quels dommages elles ont pu causer aux Héranits.

– Dans le doute, il ne faut prendre aucun risque, conclut Whyn. Tâchons d'avancer et de trouver un endroit sûr où passer la nuit.

Marcher dans la poudreuse s'avéra encore plus désagréable que sur les chemins caillouteux, même si les flocons recouvraient leurs traces derrière eux. Les jambes des hétalans s'enfonçaient profondément dans le sol gelé à chaque pas, ce qui s'avérait exténuant. Leurs nasaux jetaient de petits nuages de vapeur dans l'air glacial. La neige tombait si dru que Selena devait cligner des paupières sans arrêt pour chasser des flocons pris dans ses cils. Elle espérait qu'ils gardaient le bon cap, mais par ce temps, il était difficile d'en être certain.

Ils entamèrent l'ascension d'un premier sommet ; la pente était raide. Les sabots de Selfyra dérapèrent brusquement, causant une belle peur à sa cavalière. Heureusement, l'hétalane parvint à rétablir son équilibre sans jeter Rox à terre. Ils progressaient affreusement lentement, en prenant garde à ne pas glisser le long des corniches escarpées. La lumière du soleil à l'horizon n'était plus qu'un souvenir.

D'un commun accord, ils décidèrent de s'arrêter pour la nuit. L'endroit qu'ils avaient choisi était pourvu d'un décroché rocheux qui les abriterait suffisamment des regards indiscrets pour se permettre d'allumer un feu. De toute façon, par ce froid, ils n'avaient guère d'autre alternative, s'ils ne voulaient pas mourir gelés dans leur sommeil.

Rox se chargea d'attiser les braises, tandis que les autres montaient les tentes tout autour en essayant sans succès de ne pas mettre de la neige partout à l'intérieur. Ils ne mangèrent pas beaucoup, ce soir-là. Tout ce qu'il y avait à faire était attendre l'aube. À la lueur d'une lanterne, Whyn déplia la carte des massifs montagneux que Relan avait volée à Lassan.