Chapitre 14 : Salamarth

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Après quatre jours de marche, les forêts succédèrent au paysage désolé de la lande. L'odeur des résineux imprégnait l'air humide, depuis les premières lueurs brumeuses de l'aube jusqu'au soir, quand les réfugiés établissaient leur camp dans un nouveau vallon. La route qu'ils avaient empruntée pour quitter la capitale s'était vite transformée en une piste rocailleuse qu'ils suivaient désormais, le long des berges de l'Argen. D'immenses conifères hérissaient les collines et tapissaient le sol d'aiguilles rousses. Il n'y avait pas un seul shayenne en vue, ni même un frêne ou un châtaignier. Ce constat remplit Selena de nostalgie. Comme elle lui manquait soudain, sa forêt natale, avec ses buissons verdoyants et ses arbres noueux que les orphelins escaladaient en jouant à cache-cache...

– Il fait plus froid ici qu'à Gwanaen, hein ? déclara Eff'il.

Elle hocha la tête en silence. Le jeune elfe lui adressa un regard soucieux.

– Ça va ?

– Oui. Ça me fait seulement drôle de revenir en forêt.

– Tu m'étonnes, après tout le temps qu'on a passé en mer ! Mais tu verras, les arbres ne manquent pas à Sylva. Je te ferai visiter les jardins de l'arbre-palais, je suis sûr que ça te plaira...

Selena entendit à peine la suite. La simple mention de Sylva avait fait ressurgir ses appréhensions, et malgré toutes les merveilles que lui racontait son meilleur ami sur la capitale elfique, le nœud qui s'était formé dans son estomac refusait de se détendre. L'idée que leur voyage touchait presque au but lui paraissait irréelle et en même temps, elle lui donnait le vertige. Bientôt, elle serait à la Cour des elfes. Qui savait ce que l'on attendrait d'elle ?

« Une chose à la fois, petite tête », souffla Calypso dans son esprit. « L'avenir viendra bien assez tôt, et tu ne seras pas seule pour y faire face. »

Ses ailes firent voler les aiguilles mortes le long du chemin. Une chaleur rassurante inonda la jeune fille à travers leur lien.

« Si le futur t'effraie, rappelle-toi que pour le moment, nous sommes ici et maintenant, dans cette forêt, et la seule chose qu'on attend de toi, c'est de mettre un pied devant l'autre. Sans tomber, de préférence », ajouta-t-elle alors que la jeune fille trébuchait sur une racine.

Calypso étendit de justesse son encolure pour arrêter la chute de son âme sœur étourdie. Selena lui gratouilla l'épaule avec reconnaissance et sortit un quignon de pain de sa poche.

« Tu as raison. Excuse-moi. »

Calypso renifla l'offrande d'un air gourmand et l'attrapa entre ses lèvres, avant d'engloutir sa récompense avec délectation.

« Il n'y a rien à pardonner. Tu es inquiète, c'est légitime. Seuls les idiots et les fous n'ont peur de rien, et tu n'es ni l'un ni l'autre. »

« Toi, tu n'as peur de rien. »

« Ce n'est pas vrai. J'ai toujours peur pour toi. »

Son aveu arracha à Selena un petit pincement au cœur. Calypso posa sur elle ses grands yeux bruns.

« On a tous quelqu'un pour qui l'on tremble, petite tête. C'est le prix de la vie. Le tout, c'est de ne pas laisser la peur t'empêcher de la vivre. »


Salamarth leur apparut finalement au crépuscule du cinquième jour. Il était temps, à vrai dire. Les réserves de pain de seigle et de viande séchée diminuaient à une vitesse alarmante, avec le nombre de bouches à nourrir, et les hautes montagnes semblaient toujours aussi lointaines à l'horizon. Après une journée par monts et par vaux, les Gardiennes et leurs alliés avaient les mollets en feu. Selena ne rêvait que d'aller se coucher ; elle s'était levée aux aurores pour s'entraîner avec Flo et Lou, et les dix heures de marche avaient achevé de l'épuiser.

ERALDIOR - Volume 2 - Le Voyage de l'Étoile d'ArdenOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz