Le retour d'une légende (1)

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Si la vie est un bien, la mort est son fruit ; si la vie est un mal, la mort est son terme.

Citation de Louis-Philippe de Ségur ; Les quatre âges de la vie (1816)

Fléaus, pardonne-moi.

A travers mes paupières, une vive clarté m'éblouit.

Contrairement à ce que pensent les Humains, l'âme d'un dieu mort n'est plus qu'un doux souvenir. Je ne saurai que trop décrédibiliser ce genre d'affabulations principalement destinées à endormir les enfants turbulents. En effet, l'éclat d'une âme divine s'essouffle à mesure qu'un mal siphonne son essence ; ou, comme souvent, elle s'éteint sans crier gare, à l'instar d'une flamme terrassée par un vent turbulent. Dans les deux cas, le feu ne prend plus. Car l'éternité n'offre pas de seconde chance.

Alors pourquoi suis-je encore consciente ?

Paralysée sur le dos, une dépression grosse comme une balle de tennis usurpe la place de mon cœur. Pourtant, la douleur s'est évaporée.

Je n'ai aucune idée du temps qui a pu s'écouler depuis le début de ma torture. Une heure ? Un jour ? Une semaine ? Non, la main ferme et chaude qui englobe la mienne n'aurait pas pu conserver un tel état de tension durant une semaine entière, alors que le Roi s'impatiente et que les Exilés -en plus de Genesis- nous recherchent sans doute. Son propriétaire se serait forcément résolu à me traîner jusqu'au village, en quête de solutions miracles pour mettre fin à mes souffrances ainsi qu'aux violentes convulsions qui sont parvenues à me déplacer sur plusieurs mètres de long. Or, je ne perçois pas une once du brouhaha constant qui règne au sein du village. Non, définitivement non. Il s'agit d'une hallucination.

J'ouvre les yeux.

Alors pourquoi la lueur du ciel parvient-elle à m'éblouir ?

Et pourquoi, après deux ou trois battements de paupières, les contours d'un visage se découpent dans la quasi blancheur céleste ?

-Diable, Ecclésia, je vous jure d'accélérer le processus à mains nues si vous osez une nouvelle fois flirter avec la mort, grince-t-il entre ses dents.

L'accommodation visuelle épure peu à peu ma vision, dévoilant des lèvres pincées et des yeux angoissés. Ceux-ci s'empressent de braquer les troncs d'arbres auxquels mon champ de vision n'a pas accès. Son attitude à la fois menaçante et inquiète me permet d'avancer qu'il n'est pas l'auteur du supplice. Et, dans un deuxième temps, d'interpréter la lueur assassine qui anime le fond de ses yeux noirs à chaque fois qu'il se focalise sur cette fameuse zone boisée.

Une nouvelle menace nous pend au nez, c'en est certain.

Et tout à coup, je me remémore Armorie. J'avais aperçu Armorie.

-Ne bougez pas, m'ordonne-t-il alors que j'entreprends justement de m'asseoir.

A moitié repliée sur moi-même, j'ai le loisir de constater l'étonnante netteté de mon buste. Hormis le sang encore tiède de mes victimes et celui qui a jailli de mes blessures, rien n'atteste de la présence d'un trou béant.

Mon cœur est à sa place.

Malgré l'évidence de la situation, je me sens obligée de passer mes doigts là où cette curieuse impression de vide m'a bercée d'illusions.

Pas de creux.

-Une nouvelle crise ? s'enquit Alicante, dont le regard oscille entre les bois et moi.

-Non, j'étais persuadée qu'on m'avait perforé la poitrine.

-A quoi était-ce dû ?

-Je n'en ai aucune idée.

Cœur de flamme (Tome 2)Where stories live. Discover now