Pétikyra

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PDV Ecclésia

Je me réveille en sursaut, transpercée par la lame onirique de Sélérat.

— Mauvais rêve ?

Mon cœur subit deux ratés. En sentant le souffle d'Alicante sur mon oreille, et en réalisant que je suis accrochée à son bras. Plus précisément soudée à son bras, allongée dans un petit lit situé au cœur d'une sorte de débarras. Une lampe suspendue au plafond éclaire la pièce exiguë et une multitude de balais, pelles, sacs en plastique et autres outils ménagers sont disposés sur des étagères ou éparpillés à même le sol.

— Vous vous êtes assoupie et n'avez pas pu vous résoudre à me lâcher, m'explique-t-il enfin. Mais ne vous en faites pas, Genesis s'est assuré de nous rendre visite toutes les deux minutes, afin de s'assurer que je vous traite correctement, ajoute-t-il, non sans sourire amèrement.

Je laisse retomber ma tête sur le matelas, ne sachant trop quoi penser de la situation. Le tas de nœuds qui me sert de cheveux s'abat en partie devant mes yeux, ce qui me contraint à le repousser d'un geste de la main. L'air tiède du pays, quant à lui, glisse sur la peau découverte de mes bras, de mes jambes, de mon cou et de mon visage : je suis toujours habillée de la même façon. Et lui aussi, si ce n'est que l'odeur du savon parfume sa peau humide. Alicante m'a simplement tenu compagnie, ici, à l'écart du groupe bruyant.

Il est étendu sur le dos, vêtu d'un tee-shirt et d'un jeans noirs. Ses ailes sont rétractées, à l'instar des miennes, et ses cheveux se mêlent à ses longs cils noirs. Dans la longueur, ses deux mètres condamnent ses pieds à dépasser du lit ; dans la largeur, sa corpulence athlétique privatise les trois quarts de la couche.

Ses yeux se font de plus en plus interrogateurs, tandis que je le dévisage, positivement étonnée.

Alors quoi ? C'est possible ? Le Prince Obscur serait capable de s'engager dans une relation à long terme ? Dans une vraie relation ? De tous les mythes que j'ai pu entendre, aucun n'a laissé entrevoir la possibilité qu'il en soit capable. Tuer, oui. Torturer, aussi. Inverser la tendance d'une guerre, oui. Mais... s'enticher, non. Jamais. Et encore moins d'une Lumineuse rejetée par ses pairs.

Comme s'il décryptait la teneur de mes pensées, Alicante fronce les sourcils. Ses prunelles teintées d'un habituel noir corbeau s'emplissent d'une colère sourde, qui le pousse à se contracter de toutes parts. Il récupère son bras, se lève et quitte la pièce. Sans un mot.

Je continue à fixer la porte entrouverte, à la fois déçue et satisfaite. Alicante fait preuve d'une ambivalence étourdissante. Un coup chaud, un coup froid ; tantôt assassin, tantôt bienveillant... Toutefois, quand on a grandi dans les ténèbres, difficile de forcer ses yeux à s'adapter à la lumière du jour. L'agressive et douloureuse, lumière du jour. Ne nous voilons pas la face, la solution de facilité, pour lui, comme pour tous les Obscurs, c'est de céder à l'appel du sang, des pulsions démoniaques. Au meurtre, à la souffrance, à la couardise ; or, ce que je lui impose requiert dépassement de soi et éprouvantes remises en question.

C'est de son identité, qu'il s'agit. De son image, de son rôle de fils, de Prince, de futur souverain.

Je n'ai pas le droit de lui en vouloir. Même si cela me coûte.

Alors, je pose à mon tour mes pieds au sol, gonflée d'espoirs, avant de partir à la recherche d'une salle de bain. Ou, en tout cas, d'un espace intime, doté d'eau, de savon, de dentifrice et de serviettes de bain.

C'est au fond du couloir que je trouve mon bonheur. Une cabine de douche étroite, mais parée de tout ce dont mon corps à besoin, y compris d'un shampoing. Une fois propre, je démêle mes cheveux à l'aide de mes doigts, tout en regagnant la salle commune.

Cœur de flamme (Tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant