Gene, pour les intimes

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Ecclésia

En France. Il faudrait que nous nous rendions en France.

Je fixe encore Kyra tandis que ses derniers mots retentissent sous forme d'échos pernicieux dans mon crâne. Un nouvel aboiement retentit. Brusque. Tonitruant. Alicante sursaute. Par réflexe, il se tourne vers la source sonore, encore invisible depuis nos positions. Les muscles de ses bras se bandent, ses poings se crispent, prêts à en découdre avec l'objet de son attention.

Les sonorités indiquent le rapprochement de la bête. Un chien, à n'en plus douter. Un animal conçu par les sciences de l'homme, qui n'a par conséquent jamais foulé nos terres divines.

Le chien jaillit d'une rue. Il est énorme. Munie d'un pelage noir et soyeux, sa gigantesque tête atteint facilement ma taille. Ses yeux sont noirs, entièrement noirs, à l'instar des globes oculaires Obscurs. Sa langue volumineuse pend depuis une gueule acérée, éjectant quantité de bave au sol. Chaque goutte s'accompagne d'un jet de fumée blanchâtre. À croire qu'il s'agit d'acide... Dès lors que l'animal nous remarque, ses babines surdimensionnées se retroussent sur ses crocs, dévoilant une dentition surprenante. Si le bras de l'un de nous avait le malheur d'explorer sa cavité buccale, nous l'y perdrions, c'en est certain.

Je n'en avais encore jamais croisé, si ce n'est par l'intermédiaire de mon centre de contrôle. D'ordinaire, les chiens sont de tailles raisonnables, attachés émotionnellement à leurs maîtres, joueurs, voire mignons... celui-ci inspire l'effroi. En dépit du collier rose fuchsia qui orne son cou, il n'a rien d'un gentil toutou en quête de baballe. Je déglutis. Malgré sa méconnaissance de la faune terrestre, Alicante s'approche encore, pas-à-pas, drapé d'un silence religieux.

L'animal grogne. Il gronde d'autant plus fort en remarquant Genesis ; cependant, dès que son énorme tête s'oriente vers le Prince, l'animal se tranquillise et s'arrête. Je fronce les sourcils, intriguée.

- Qu'est-ce donc ? s'étonne Alicante, de dos.

- Un canidé, répond Kyra.

- Ce que l'on nomme plus communément un chien, précisé-je. A priori, il doit plutôt s'agir d'un chien de garde...

- Époustouflant... souffle le futur souverain.

- Ta copine a aussi contaminé les animaux, explique Kyra. L'atmosphère étant trop chargée en noirceur, leur organisme mute.

- Je m'appelle Ecclésia.

Ma bouche me fait l'effet d'une mitrailleuse, et ma réplique, une rafale de balles. Je fronce les sourcils, décontenancée. Perdre mon self-control en tant qu'Obscure est une chose, le perdre en tant que Lumineuse en est une autre. Quel genre d'engrenage divin me torpille donc de l'intérieur ?

- Il fut un temps, tu as été la starlette de cette planète, aujourd'hui, tu en es la pire ennemie. Alors, loin de moi l'idée de te blesser, mais ici, dans ma ville, tu t'appelleras comme je te nommerai.

Kyra dévie son regard du chien pour le rabattre sur moi. Une brise agite de longues mèches blanches devant son visage, d'une telle façon qu'elle paraisse plus intimidante qu'elle ne l'est déjà. Ses yeux ne m'observent pas, ils me dissèquent. J'ai comme l'impression qu'un essaim de scalpels en jaillissent, tranchant le peu d'assurance que je me suis efforcée de construire face à elle. Toutefois, une facette plus sombre de ma personnalité, bien plus sombre, tente de déchirer le carcan trop sage de la Lumineuse.

- J'ai passé l'âge des chamailleries. Grand bien te fasse si tu refuses de m'appeler par mon prénom, ou si tu as besoin de faire un concours de celle qui a fait la plus grosse bêtise pour te sentir importante ; malheureusement, l'heure est venue de laisser parler les grands.

Cœur de flamme (Tome 2)Where stories live. Discover now