Mutinerie -Première partie

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PDV ALICANTE

À l'instant où les humains « rendent l'antenne », pour reprendre le terme employé par la « journaliste », je me précipite sur le balcon et traque les moindres ombre, odeur ou battement de cœur à l'aide de mes sens sur-développés. Des sens étudiés par leurs obscures machines et esprits avides d'expériences moralement discutables. Je n'ose imaginer ce qu'il adviendrait d'Ecclésia s'ils parvenaient à mettre la main sur sa forme Lumineuse. La disséqueraient-ils ? Lui infligeraient-ils mille sévices afin d'assouvir leur soif malsaine de connaissance ?

La Haine guide mes mouvements, si bien que mes hanches déforment la rambarde sur laquelle mes poings se ferment. Et mes ailes se déploient. Leurs plumes de fer ravagent la façade de l'immeuble, déclenchant l'éboulement de gravats. J'enrage littéralement.

— Fais plus discret encore, râle Genesis.

Il me faut faire preuve d'un effort phénoménal pour me retenir de lui arracher la gorge. Certains comptent les moutons pour tenter de se détendre, moi, j'estime le nombre de tours qu'un intestin humain pourrait faire autour de mon index. Un, deux, trois... Au bout du cinquantième, je parviens à juguler ma respiration, les yeux rivés sur la ville morte. Plus rien ne peut m'échapper, désormais. Pas même l'odeur d'urine répugnante qui émane des WC de l'appartement voisin. Ça étudie l'ADN de dieux ancestraux, mais ça ne sait pas tirer une chasse d'eau.

Ces brebis galeuses n'ont-elles donc aucune notion de savoir-vivre ?

Rituels sexuels bien engagés.

À croire que nous assistions à un documentaire animalier. Je n'aurais pas été étonné de l'entendre poursuivre, le plus naturellement du monde : fin prêt, le mâle engage une parade nuptiale devant l'une des quatre femelles du troupeau, laquelle se livre au cri propre à la race des dieux en rut : le gémissement. Je grimace de dégoût, puis lance un coup œil par-dessus mon épaule.

Icanée tient son arme entre ses mains. Lorsque je lance un regard significatif à l'équipement, elle me retourne un doigt d'honneur tout aussi significatif. Je me tourne vers Kyra, qui attrape son AK-47 et me l'envoie sans hésiter.

Comme s'il était attiré par mon regain de noirceur, le chien volumineux se précipite à mes pieds, montrant les crocs au centre-ville. De la bave s'accumule sur le sol de l'appartement, qui fond au contact du liquide fumant. Son ventre gronde. J'espère que la bête n'a pas de dégoût particulier pour l'os de scientifique humain, car ce sera bien assez tôt ce qui lui remplira la panse.

— Le message est clair : une espèce est de trop sur cette planète, résume Kyra sur le ton de la menace.

Je hoche gravement la tête.

— Il faut que nous élaborions un plan, intervient le Soigneur.

— Chargez-vous-en, je monte la garde.

Je plante un genou en terre, positionne un œil au niveau du viseur et me prépare au tir. Soudain, du mouvement se manifeste au bout d'une ruelle. J'appuie sur la détente. Un chat s'effondre. Telle une nuée de vautours, une armée d'oiseaux affamés fond sur le corps chaud.

Mes dents crissent, la mélopée de la frustration. Ce que je n'aurais pas donné pour qu'il s'agisse d'un Humain. Éventré, baignant dans ses propres sucs.

— Alicante ! s'écrie Ecclésia. Je sais où est le...

Le chaos lui coupe la parole.

Une rafale de balles s'abat dans l'appartement. Trouant les murs, déchirant les tissus, brisant le mobilier, l'attaque transforme l'intérieur en un véritable champ de bataille. Le rembourrage du canapé s'éparpille à chaque déflagration, s'accrochant à la tignasse d'Icanée. Cette dernière formule un chapelet de jurons, puis s'égosille en inspirant la fumée qui accompagne les tirs. Une fumée verdâtre.

Cœur de flamme (Tome 2)Where stories live. Discover now