La vérité peut parfois faire pire que blesser -Première partie

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PDV ALICANTE

Je cherche encore à comprendre comment moi, Prince Obscur, ai pu en arriver là. Debout dans cette ruelle éclairée par un large rayon de soleil, spectateur d'une joute verbale inimaginable.

Au début, les mots avaient un sens. Limpides, rangés dans des phrases, elles-mêmes constituées de sujet, de verbe, de compléments. Traduits en sons par des cordes vocales, ces mots formaient des paroles intelligibles. Puis s'en est suivie une série de révélations abrutissantes, qui prenait un malin plaisir à disséquer chaque terme avec une rare violence, jusqu'à ce qu'ils perdent toute signification à mes yeux. Les lettres se mélangeaient, les syllabes fusionnaient, et le rendu heurtait mes tympans avec l'agressivité d'un fouet.

Je suis devenu chose en l'espace de trois secondes.

La scène de crime m'empêche de fermer mes yeux exorbités. Je suis ligoté par le débat de ces silhouettes claire et sombre. Aucune n'a la présence d'esprit d'observer le dommage collatéral. Aucune n'a la présence d'esprit de rectifier ses propos.

« Dites-moi que tout ceci n'est qu'un vaste cauchemar » ai-je envoyé par la pensée à Ecclésia.

Le téléphone portable m'échappe des mains. L'impact retentit contre les immeubles qui bordent la chaussée. Sur les trottoirs, Kyra et Evan, membres de mon équipe de recherche, semblent aussi sidérés que moi. Personne ne détourne les yeux des assassines, pas même pour observer le téléphone exploser en morceaux à nos pieds.

Nous avons littéralement court-circuité.

Il a suffi d'une phrase pour déclencher mon autodestruction et réduire mon cerveau à l'état de pâte neuronale. Pourquoi a-t-il fallu que cette crasse inavouable m'explose un jour à la figure ?

Comment ai-je pu en arriver là ? Peut-être aurais-je dû faire équipe avec les autres ? Avec Genesis ?

J'essaie désespérément de comprendre l'objet de ma chute. Trois secondes plus tôt, j'étais encore perché sur mon piédestal, au-dessus des mortels, des faibles et des Obscurs soumis à mon commandement suprême, surplombant l'Univers avec un dédain légitime.

Le début de la journée défile dans ma tête, automatique.

Voici la carte de la ville, déclara Evan, en début de journée, dans la cuisine de l'hôtel où nous avions séjourné.

Il posa ses mains dessus.

Elle contient trois musées, reprit-il. Deux d'entre eux se situent à l'Ouest et à l'Est, le dernier se trouve pile au centre de la ville. Oui, ma Déesse, vous avez bien entendu, au centre même ! ajouta-t-il passionnément en plantant son regard d'abruti fini dans l'impassibilité de celui d'Ecclésia. Messieurs dames – ou devrais-je dire – dieux et déesses, l'heure est grave. Nous avons trois choix. Pas deux, pas quatre mais trois.

Il se pencha brusquement au-dessus du plan de travail, faisant sursauter Armorie et arquer les sourcils de Genesis, avant de nous dévisager avec un sourire. Quelques secondes s'égrainèrent ainsi, pendant lesquelles j'espérais que mes yeux puissent se muer en lasers. Malheureusement, Evan ne se réduisit pas en petit tas de cendres pathétiques. Il resta ce pauvre type à lunettes.

Et des milliers d'Humains dans les pattes, lâcha-t-il enfin, sur le ton du suspens.

J'étais en rogne. J'inspirai pour tenter de me maîtriser, seulement, le comportement de cette créature ne cessait de jeter de l'huile sur le feu. J'aurais pu transpercer sa nuque à l'aide d'un hameçon, me dégoter une canne à pêche et traîner la prise hurlante jusqu'à moi afin de la briser avec théâtralisme. Malheureusement, il était indispensable à cette quête, alors je ravalai mon amertume et feignis de m'intéresser à la carte en me frottant le menton.

Cœur de flamme (Tome 2)Where stories live. Discover now