Monstrueusement aimante

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PDV ALICANTE

Palais Obscur, salle de restauration royale

— Assieds-toi.

Il ne fallait jamais, ô grand jamais, contredire les directives de Père. Il avait toujours raison. C'est pourquoi je ne me fis pas prier pour tirer l'une des grandes chaises de la table d'honneur, avant de retenir une grimace. Les plaies de mon dos n'étaient pas encore guéries et le fouet rougeoyant qu'il avait négligemment posé sur la table portait encore les traces de ma désobéissance.

Il s'adossa à sa chaise. Ses grandes mains, noircies par les flammes qu'il avait invoquées pour chauffer le fer du fouet, se replièrent majestueusement sur les accoudoirs. Un jour, j'allais égaler sa prestance.

La salle était bien heureusement vide, personne n'allait être témoin de nos explications.

— Je ne suis pas bon, Père, mon épée a tranché les têtes de trois innocents ce matin même, me défendis-je en domptant les trémolos de ma voix.

J'étais un adolescent qui n'avait pas le niveau de combat ni le mental requis pour monter sur le trône. Je savais néanmoins qu'il fallait que je parle le premier. Un dieu de l'Obscurité n'attend pas qu'on le brime pour s'exprimer, il ne dégaine jamais le bouclier avant d'avoir brandi le glaive.

Il se doit d'être courageux.

Un courage qui m'avait poussé à me rebeller contre ma séquestration. J'avais dit non. Un non empreint de rage et d'amertume. Mon bras avait rejeté le fouet enflammé qui menaçait de me taillader pour la énième fois, sans qu'aucun signe de douleur ne me trahisse. Père avait brièvement souri avant de brûler mes liens. Je fus digne de rejoindre le grand public.

Ses yeux noirs, incrustés dans son visage impénétrable, me fixaient sans discontinuer depuis que nous nous étions assis. La seule lueur d'un filet de lave endurcissait son image. Il avait laissé ses cheveux de jais dévaler ses larges épaules.

Père inspira plus profondément, j'eus comme l'impression que mon assurance se désintégra. J'étais une nouvelle fois terrifié.

— Pourquoi un Soigneur a-t-il été gracié par tes soins ?

Je déglutis, jetai un coup d'œil au fouet qui dégouttait encore. Lorsqu'il le perçut, un rictus déforma ses traits.

— Je le sais, le devancé-je. Un Obscur ne doit jamais craindre ni perdre le contrôle de ses émotions. Il doit être maître de son corps. Cela ne se reproduira plus.

Il sembla se détendre.

— Tu sais ce qu'il adviendra, dans le cas contraire, se contenta-t-il d'avancer.

— Oui, Père.

J'évinçai mentalement mes craintes en expirant longuement puis le fixai avec une détermination nouvelle. Un Obscur assume ses actes.

— J'ai en effet gracié un Soigneur.

— Pour quelle raison ?

— Il s'agit du père de Kyra.

Ses yeux se lièrent férocement aux miens. Il n'avait plus besoin d'en venir aux mains pour me malmener, ses prunelles suffisaient.

— Tu es attaché à Kyra.

— Elle est ma meilleure alliée.

— Là n'est pas une question d'alliance, mais d'amitié.

Il cracha le dernier mot avec un dédain tel qu'il se répercuta sous forme de frissons sur ma nuque. Je fis mon possible pour le dissimuler. Mon corps ne devait en aucun cas être le reflet de mes émotions.

Cœur de flamme (Tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant