La Terre

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J'atterris en puissance dans une ruelle pavée, située au cœur d'une petite ville d'Amérique latine. Les roches se brisent sous l'impact de ma réception, créant un petit cratère autour de ma position.

Accroupie, une main enfoncée dans le sol, le premier contact terrien qui m'assaille est l'horripilante odeur de chair en décomposition.

Je déloge mon poing des minéraux avant de relever la tête. Mes ailes se heurtent à plusieurs lampadaires, dont les ampoules éclatées sont maculées de sang séché.

C'est le chaos.

Autour de moi, des ruines, des ruines et encore des ruines. L'allée principale semble déserte de vie, mais certainement pas de mort. Des dizaines de corps moisissent sous l'atmosphère suffocante. Des enfants, des adolescents, des femmes et des hommes... aucun n'a été épargné.

Je me redresse au fur et à mesure que le paysage apocalyptique entre dans mon champ de vision. Les deux bâtiments qui siègent à ma droite et à ma gauche portent encore les séquelles d'affrontements sanglants. Des éclaboussures rougeâtres, souvent parsemées de traces de mains gluantes, déclenchent ma chair de poule. Des traînées de suie s'ajoutent au tableau macabre.

Ma gorge ne m'a jamais parue si étroite.

Au bout de la rue, une rangée de maisons mitoyennes happe mon attention. De la fumée s'élève des carcasses anciennement nommées "domiciles familiaux". Et des corps. Encore et toujours des corps, qui s'étalent à mes pieds, dans l'allée perpendiculaire, sur les seuils des maisons et au pied de balançoires qui se meuvent au gré du vent.

Si les Obscurs y sont confrontés tous les jours, les Humains, eux, ne sont visiblemenr pas assez solides pour survivre à la violence de l'Obscurité.

— Charmant.

Je ne fais pas l'effort de répondre à Alicante. Le spectacle me prive d'humour.

Les sons de bris de pierres, accompagnés de bourrasques, m'indiquent que le reste du groupe a atterri. Le souffle choqué d'Armorie ne fait qu'accentuer ma peine.

Leurs voix ahuries se mettent à converser, brisant le silence mortuaire.

Qu'ai-je fait ?

Je décide de prendre mon courage à deux mains, la boule au ventre, le cœur battant, pour me traîner dans ce tombeau à ciel ouvert. Le long de la ruelle, en zigzaguant entre les cadavres troués, décapités, voire démembrés. Seul le grincement d'un panneau publicitaire a le pouvoir de faire vibrer mes tympans délaissés.

Les bâtisses qui font les angles de la rue sont des restaurants abandonnés. Les grandes enseignes qui grésillent sur les toits en attestent.

Je ne tarde pas à atteindre l'intersection des trois voies. Ainsi plongée au cœur d'un silence malsain, ma déglutition me paraît amplifiée par six mégaphones.

Sur ma gauche, se situe une grande place. Au centre de celle-ci, une statue.

Il s'agit d'une sculpture de cinq mètres de haut, faite de bronze, aux courbes indéniablement féminines. Dans le creux de sa main droite siège un cœur, et dans la gauche une flûte. L'inscription affichée au pied de celle-ci nomine l'horreur qu'elle représente : "Notre gardienne bien-aimée, la Déesse de l'Amour : Ecclésia".

Une larme dévale ma joue droite. Une seconde goutte suit son chemin, puis une troisième, jusqu'à ce que mon visage soit inondé de pleurs silencieux.

Je les ai trahis.

Pour sauver ma peau, mon organisme s'est alimenté en Obscurité, au détriment du bien-être des Hommes... de mes protégés.

Cœur de flamme (Tome 2)Where stories live. Discover now